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MADAME CHRYSANTHÈME

mot dit comme cela tout près de moi par une voix de jeune femme, dans des circonstances pareilles, à un instant de frayeur nocturne. — « Setchan ! … » Une de nos premières nuits passées à Stamboul, sous le toit mystérieux d’Eyoub, quand tout était danger autour de nous, un bruit sur les marches de l’escalier noir nous avait fait trembler, et elle aussi, la chère petite Turque, m’avait dit dans sa langue aimée : « Setchan ! » (les souris !)…

Oh ! alors, un grand frisson, à ce souvenir, me secoua tout entier : ce fut comme si je me réveillais en sursaut d’un sommeil de dix années ; — je regardai avec une espèce de haine cette poupée étendue près de moi, me demandant ce que je faisais là sur cette couche, et je me levai pris d’écœurement et de remords, pour sortir de ce tendelet de gaze bleue…

J’allai jusque sous la véranda… et je m’arrêtai, regardant les profondeurs de la nuit étoilée. Nagasaki dormait au-dessous de moi, d’un sommeil qui semblait tiède et léger, avec mille bruissements d’insectes au clair de lune, dans des enchantements de lumière rose. Puis, tournant la tête, je vis derrière moi l’idole dorée devant laquelle