Page:Loti - Pêcheur d Islande.djvu/247

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engagées là, entre deux ivresses, sur ces tables de chêne.

Gaud, tout en cousant cette robe, avait l’oreille à une conversation sur les choses d’Islande, qui se tenait derrière la cloison entre madame Tressoleur et deux retraités assis à boire.

Ils discutaient, les vieux, au sujet de certain beau bateau tout neuf, qu’on était en train de gréer dans le port : jamais elle ne serait parée, cette Léopoldine, à faire la campagne prochaine.

— Eh ! mais si, ripostait l’hôtesse, bien sûr qu’elle sera parée ! — Puisque je vous dis, moi, qu’elle a pris équipage hier : tous ceux de l’ancienne Marie, de Guermeur, qu’on va vendre pour la démolir ; cinq jeunes personnes, qui sont venues s’engager là, devant moi, — à cette table, — signer avec ma plume, — ainsi ! — Et des bel’hommes, je vous jure : Laumec, Tugdual Caroff, Yvon Duff, le fils Keraez, de Tréguier ; — et le grand Yann Gaos, de Pors-Even, qui en vaut bien trois !

La Léopoldine !… Le nom, à peine entendu, de ce bateau qui allait emporter Yann, s’était fixé d’un seul coup dans la mémoire de Gaud, comme si on l’y eût martelé pour le rendre plus ineffaçable.