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LE ROMAN D’UN ENFANT

s’y montrait même la plus irrésistiblement drôle.

Et tout à coup je faisais silence, je m’arrêtais, attentif, quand dans le lointain j’entendais : — Gâteaux, gâteaux, mes bons gâteaux tout chauds !

Cela se rapprochait rapidement, car la chanteuse trottait, trottait, menu mais vite ; presque aussitôt elle était sous nos fenêtres, répétant de tout près, à pleine voix fêlée, sa continuelle chanson.

Et c’était mon grand amusement, non point d’en faire acheter, de ces pauvres gâteaux, — car ils étaient un peu grossiers et je ne les aimais guère — mais de courir moi-même, quand on me le permettait, sur le pas de la porte, accompagné d’une tante de bonne volonté, pour arrêter au passage la marchande.

Avec une révérence, elle se présentait, la bonne vieille, fière d’être appelée, et posait un pied sur les marches du seuil ; son costume propret était rehaussé toujours de fausses manches blanches. Puis, tandis qu’elle découvrait son panier, je jetais longuement au dehors mon regard d’oiseau en cage, le plus loin possible dans la rue froide et déserte. Et c’était là tout le charme de la chose : respirer une bouffée d’air glacé, prendre un aperçu du grand noir extérieur, et, après, rentrer, toujours courant, dans le salon chaud et confortable, — tandis que le