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LE ROMAN D’UN ENFANT

choses de la nature, qui m’abîmais dans la contemplation des moindres mousses. Même les crépuscules de ces mercredis avaient je ne sais quoi de particulier que je définissais mal ; généralement, à l’heure où nous arrivions sur cette autre rive, le soleil se couchait, et, ainsi regardé, du haut de l’espèce de plateau solitaire où nous étions, il me paraissait s’élargir plus que de coutume, tandis que s’enfonçait son disque rouge derrière les plaines de hauts foins que nous venions de quitter.

La rivière ainsi franchie, nous laissions tout de suite la grande route pour prendre des sentiers à peine tracés, dans une région odieusement profanée aujourd’hui mais exquise en ce temps-là, qui s’appelait « les Chaumes ».

Ces Chaumes étaient un bien communal, dépendant d’un village dont on apercevait là-bas l’antique église. N’appartenant donc à personne, ils avaient pu garder intacte leur petite sauvagerie relative. Ils n’étaient qu’une sorte de plateau de pierre d’un seul morceau, légèrement ondulé et couvert d’un tapis de plantes sèches, courtes, odorantes, qui craquaient sous les pas ; tout un monde de minuscules papillons, de microscopiques mouches, vivait là, bizarrement coloré, sur des fleurettes rares.

On rencontrait aussi quelquefois des troupeaux de