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LE ROMAN D’UN ENFANT

Après dîner, pendant le long crépuscule tranquille, on nous emmena tous deux ensemble à la promenade.

Mais — surprise qui commença de m’attrister — dehors il faisait presque froid, et ce ciel de printemps avait un voile qui rappelait l’hiver. Au lieu de nous conduire hors de ville vers les allées et les routes toujours animées de promeneurs, ce fut du côté du grand jardin de la Marine, lieu plus comme il faut, mais solitaire tous les soirs après le soleil couché.

En nous y rendant, par une longue rue droite où il n’y avait aucun passant, comme nous arrivions près de la chapelle des Orphelines, nous entendîmes sonner et psalmodier pour le mois de Marie ; puis un cortège sortit : des petites filles en blanc, qui semblaient avoir froid sous leurs mousselines de mai. Après avoir fait un tour dans le quartier désert et avoir chanté une ritournelle mélancolique, la modeste procession, avec ses deux ou trois bannières, rentra sans bruit ; personne ne l’avait regardée dans la rue, où, d’un bout à l’autre, nous étions seuls ; le sentiment me vint que personne ne l’avait regardée non plus dans ce ciel tendu de gris, qui devait être également vide. Cette pauvre petite procession d’enfants abandonnées avait achevé de