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LE ROMAN D’UN ENFANT

bonne vieille fille appelée mademoiselle Victoire (avec de grands bonnets à ruche du temps passé et des lunettes rondes). J’avais obtenu d’elle l’autorisation de fixer à l’arrêtoir de son contrevent une ficelle qui traversait la rue, et venait chez moi s’enrouler en pelote sur un bâton.

Le soir, dès que le jour baissait, un oiseau de ma fabrication — espèce de corbeau saugrenu charpenté en fil de fer avec des ailes de soie noire — sortait sournoisement d’entre mes persiennes, aussitôt refermées, et descendait, d’une allure drôle, se poser au milieu de la rue sur les pavés. Un anneau auquel il était suspendu, pouvait courir librement le long de la ficelle, devenue invisible au crépuscule, et, tout le temps, je le faisais sautiller, sautiller par terre, dans une agitation comique.

Et quand les passants se baissaient pour regarder quelle était cette invraisemblable bête qui se trémoussait tant, — crac ! je tirais bien fort le bout gardé dans ma main : l’oiseau alors remontait très haut en l’air, après leur avoir sauté au nez.

Oh ! derrière mes persiennes, me suis-je amusé, ces beaux soirs-là ; ai-je ri, tout seul, des cris, des effarements, des réflexions, des conjectures. Ce qui m’étonne, c’est qu’après le premier moment de frayeur, les gens prenaient le parti de rire autant