Page:Loti - Roman d’un enfant, éd. 1895.djvu/28

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
14
LE ROMAN D’UN ENFANT

Avec des éclats de rire, elle continuait de m’appeler, en se faisant des voix de plus en plus drôles. Où donc pouvait-elle bien être ?

Ah ! là-bas, en l’air ! perchée sur la fourche d’un arbre tout tordu, qui avait comme des cheveux gris en lichen.

Je me relevai alors, très attrapé d’avoir été ainsi découvert.

Et en me relevant, j’aperçus au loin, par-dessus le fouillis des plantes agrestes, un coin des vieux murs couronnés de lierre qui enfermaient le jardin. (Ils étaient destinés à me devenir très familiers plus tard, ces murs-là ; car, pendant mes jeudis de collège, j’y ai passé bien des heures, perché, observant la campagne pastorale et tranquille, et rêvant, au bruit des sauterelles, à des sites encore plus ensoleillés de pays lointains.) Et ce jour-là, leurs pierres grises, disjointes, mangées de soleil, mouchetées de lichen, me donnèrent pour la première fois de ma vie l’impression mal définie de la vétusté des choses ; la vague conception des durées antérieures à moi-même, du temps passé.

Lucette D***, mon aînée de huit ou neuf ans, était déjà presque une grande personne à mes yeux : je ne pouvais pas la connaître depuis bien longtemps, mais je la connaissais depuis tout le temps