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LE ROMAN D’UN ENFANT

Donc, après le dîner de midi, à la rage ardente du soleil, j’emportai dans le jardin de mon oncle du papier et une plume, — et là, je m’enfermai pour écrire cette lettre. (Cela entrait dans mes habitudes d’enfant d’aller ainsi travailler ou faire ma correspondance en plein air, et souvent même dans les recoins les plus singulièrement choisis, en haut des arbres, sur les toits.)

Une après-midi de septembre brûlante et sans un nuage. Il faisait triste, dans ce vieux jardin plus silencieux que jamais, plus étranger aussi peut-être, me donnant bien plus que de coutume l’impression et le regret d’être loin de ma mère, de passer toute une fin d’été sans voir ma maison, ni les fleurs de ma chère petite cour. — Du reste, ce que j’étais sur le point d’écrire aurait pour résultat de me séparer encore davantage de tout ce que j’aimais tant, et j’en avais l’impression mélancolique. Il me semblait même qu’il y eût, dans l’air de ce jardin, je ne sais quoi d’un peu solennel, comme si les murs, les pruniers, les treilles et, là-bas, les luzernes se fussent intéressés à ce premier acte grave de ma vie, qui allait se passer sous leurs yeux. Pour m’installer à écrire, j’hésitai entre deux ou trois places, toutes brûlantes, avec très peu d’ombre.

— C’était encore une manière de gagner du temps,