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LE ROMAN D’UN ENFANT

la chambre de grand’mère, où je les trouvais généralement toutes deux réunies, je m’asseyais près du feu, sur une chaise d’enfant placée là à mon usage, pour passer l’heure toujours un peu pénible, un peu angoissante du « chien et loup ». Après tous les remuements, tous les sauts de la journée, cette heure grise m’immobilisait presque toujours sur cette même petite chaise, les yeux très ouverts, inquiets, guettant les moindres changements dans la forme des ombres, surtout du côté de la porte, entre-bâillée sur l’escalier obscur. Évidemment, si on avait su quelles tristesses et quelles frayeurs les crépuscules me causaient, on eût allumé bien vite pour me les éviter ; mais on ne le comprenait pas, et les personnes, presque toutes âgées, qui m’entouraient, avaient coutume, quand le jour baissait, de rester ainsi longtemps tranquilles à leurs places, sans éprouver le besoin d’une lampe. Quand la nuit s’épaississait davantage, il fallait même que l’une des deux, grand’mère ou tante, avançât sa chaise tout près, tout près, et que je sentisse sa protection immédiatement derrière moi ; alors, complètement rassuré, je disais : « Raconte-moi des histoires de l’île, à présent !… »

L’ « île », c’est-à-dire l’île d’Oleron, était le pays de ma mère, et le leur, qu’elles avaient quitté toutes