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les détails matériels, à l’exclusion absolue de Jacques. Je leur échappe ainsi et je m’échappe à moi-même.

J’ai fait deux parts égales de ma fortune. Le notaire, vieil ami de mon père, voulait s’opposer à mes largesses, j’ai presque dû me fâcher.

J’ai choisi moi-même les bijoux et les dentelles de la corbeille de Jeanne, trouvant une âpre jouissance à la combler de toutes choses. Rien ne m’a paru trop beau pour elle.

En rentrant, le soir, dans ma chambre, je me suis agenouillée devant le portrait de ma mère et je lui ai dit : Est-ce bien ?

Quant à eux, je les vois à peine ; perdus dans leur amour, oublieux de tout ce qui n’est pas lui, ils s’aperçoivent à peine que je ne suis pas là.

Dans ma visite au vieux curé du village, je lui ai dit :

— Je comprends maintenant…

— Pauvre enfant, m’a-t-il répondu, la vie a d’inexorables cruautés.

J’ai voulu sourire :

— Non, non, mon enfant, a dit le bon prêtre, pleurez ; j’aime mieux vous voir pleurer.

Et je pleurai…

5 Février. — Ils sont mariés de ce matin… Le temps, qui va si vite, semble s’arrêter sur les jours douloureux…

En rentrant de l’église, Jeanne s’est jetée à mon cou, elle m’a dit mille choses folles et douces, comme en disent à leur mère les enfants heureux.

Je l’entendais à peine ; J’étais comme dans un rêve : pendant qu’elle me tenait embrassée, Jacques s’était doucement agenouillé, il a saisi ma main dans les siennes, et y appuyant ses lèvres avec ferveur, il a murmuré : Ma grande Germaine !

Ce soir, ils sont partis pour l’Italie où ils achèveront l’hiver…

Je suis horriblement lasse…

Nos invités partis, le salon, rempli de fleurs, inondé de lumière, s’est trouvé vide… enfin !

On entendait encore au loin un roulement de voiture. J’ai soulevé le lourd rideau et j’ai appuyé mon front contre la vitre froide ; au dehors, pas une étincelle… au ciel, pas une étoile… la nuit partout… la nuit profonde, obscure, infinie… comme dans ton cœur, pauvre Germaine !

Clémentine Louant.

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