Page:Louant - Pauvre Germaine !, 1888.djvu/8

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
8

sir qu’un devoir. Si tu savais combien je lui dois de bonnes heures ! Notre mère détestait les mains oisives et elle ne pardonnait à une chose d’être inutile que si elle était très belle, ce qui est aussi une manière d’être utile.

— Et moi, me dit-elle en riant, ne suis-je donc pas très belle et par conséquent très utile ? Regarde, ma sévère Germaine, et elle mettait en pleine lumière sa jolie figure, ses doux yeux, son gai sourire.

— Allons, Jeanne, sois sérieuse…

Elle m’a interrompue en m’embrassant et me faisant toutes les promesses que je voulais, mais j’ai prononcé le nom de Jacques, alors elle s’est fâchée et j’ai reperdu tout le terrain que j’avais gagné :

— Ah ! c’est lui, j’aurais dû m’en douter, s’est-elle écriée, d’un ton mauvais, qu’est-ce que cela lui fait ? Je ne tiens pas à lui plaire ; il est déjà bien assez ennuyeux sans m’imposer sa manière de vivre.

Puis, sans que je comprisse rien à sa colère subite, elle s’est enfuie en chantant. Je l’ai entendue monter l’escalier et fermer, avec bruit, la porte de sa chambre.


Août. — Le petit nuage qui obscurcissait notre ciel, ces jours derniers, est dissipé. Jeanne est très vive et s’emporte aisément, mais elle revient avec tant de grâce ! Peut-on lui en vouloir de ne pas prendre la vie encore trop sérieusement ? En grande sœur indulgente, je ne veux pas effaroucher sa gaîté ; j’éprouve une sorte d’admiration devant cette faculté charmante qu’ont les enfants de ne voir de la vie que ses bons côtés ; c’est une espèce de bravoure dont je ne suis pas capable. La bonne humeur constante de Jeanne, sa gaîté exubérante est irrésistible, et en faveur de ce don précieux, je suis toujours prête à tout céder à ma mignonne.

Contre mon attente d’ailleurs, elle paraît vouloir se soumettre au désir de Jacques ; ce matin elle lui a demandé conseil sur le choix d’un site qu’elle veut dessiner ; notre jardin a des échappées de vue très pittoresques sur la campagne et sur les bois ; guidée par notre ami, elle s’est installée, avec son album et ses crayons, dans l’ombre que projettent, sur une pente gazonnée, les branches énormes d’un peuplier-tremble ; elle travaille avec application.

— Puisque je dois me taire et rester immobile, a-t-elle dit, au moins j’entendrai ce peuplier bavard. Si Jacques le permet toutefois, a-t-elle ajouté avec une moue comique.

Elle a voulu aussi que nous ne perdissions pas de vue, et nous nous installons à quelque distance : j’achève une broderie commencée pour l’église du village ; Jacques ferme son