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Page:Louis Delaporte - Voyage d'exploration en Indo-Chine, tome 1.djvu/136

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mêmes racines en malais et en cambodgien ; d’autres coïncidences, moins probantes au point de vue de la filiation commune des deux langues, semblent indiquer que l’usage de plusieurs plantes industrielles et des métaux précieux a été introduit au Cambodge par l’intermédiaire des Malais[1]. Peut-être enfin faut-il chercher aussi dans la semaine de cinq jours jadis en usage dans les îles de la Sonde, l’origine de la numération quinquennale dont les dix premiers nombres cambodgiens conservent aujourd’hui l’empreinte[2].

La langue cambodgienne n’a rien de commun, à l’exception de quelques mots annamites et talains[3], avec les langues mongoles de l’intérieur de la péninsule. Celles-ci sont toutes des langues vario tono. Le cambodgien se parle au contraire recto tono.

Sans aucun doute, on retrouverait dans le langage des nombreuses tribus qui habitent encore dans la partie montagneuse du Cambodge, les sources mêmes de la langue primitive

  1. Ainsi les mots cambodgiens khmuoi neveu, bong frère aîné, sach sandan parents, sngap bâiller, auxquels on peut ajouter peut-être apouk père et prepon épouse, viennent des mots malais kemen, abang, sanak-soudara (parenté), ngouap, bapa, parampouan (femme en général). À cette première série de mots, j’ajouterai les rapprochements suivants, moins importants sans doute, mais intéressants à d’autres points de vue :

    Cambodgien : Kapal navire, sampan canot, lompeng lance, krebey buffle, meas or, prak argent, trom indigo, kompeng enceinte.

    Malais : Kapal, sampan, lemping, kerbau, mas, pirak, tarom, kampong.

    Enfin la plupart des mots pali qui ont passé dans le cambodgien usuel semblent n’y être venus que par l’intermédiaire malais. Tels sont : menus homme en général, kepal tête, rote voiture, ska sucre, mouk visage, sot soie, mokot diadème, krou maître (titre qu’on donne aux magiciens), qui se disent en malais, manusia genre humain, kepala, rota, sakar, mouka, soutra, makouta, gourou. On observe dans ces deux langues, la même altération du sens primitif de la racine mère. Ainsi, kapala ne désigne pas la tête, mais seulement le crâne, en sanskrit ; sutra ne signifie pas soie, mais fil. On pourrait multiplier ces exemples.

  2. Voy. St. Raffles, History of Java, t. I, p. 454. Les Cambodgiens disent cinq-un, cinq-deux… pour six, sept… À partir de trente, le nom de toutes les unités décimales est emprunté au siamois ; cette introduction est de date relativement récente ainsi que celle de quelques mots assez insignifiants d’ailleurs qui sont communs au cambodgien et au siamois ou au laotien, tels que boung marais, hip caisse, etc.
  3. Ainsi les mots cambodgiens thngay jour, chieo aviron, ramer, tong cuivre, sngap bâiller, répondent aux mots annamites ngay, chieo, dông, ngap. Ces deux langues donnent aussi les mêmes noms à un certain nombre d’animaux et d’insectes particuliers à l’Indo-Chine méridionale. Les rapprochements sont peut-être encore plus nombreux entre le talain et le cambodgien ; ces langues placent toutes deux les noms de nombre après le substantif : ainsi, on dit en cambodgien : thma moui, khla buon, « pierre une, tigres quatre » ; en talain : thmom moua, kle paun. Ces ressemblances, qui deviennent plus frappantes encore si on prend les vieux mots cambodgiens au lieu de prendre le cambodgien moderne, tiennent sans doute à de très-anciennes et très-fréquentes communications entre les deux pays et me paraissent une preuve que la domination du Fou-nan s’est étendue jadis sur la région trans-salouen qui porte encore aujourd’hui le nom de Kamboza. Je ne puis qu’indiquer ici ces ressemblances philologiques et l’envoyer pour des comparaisons plus complètes aux vocabulaires qui terminent le second volume de cet ouvrage et surtout aux ouvrages spéciaux. J’ajouterai cependant, pour ceux qui seraient tentés de pousser ces rapprochements plus loin, que le Rév. F. Mason fait dériver le Talain du langage des tribus Hos ou Koles de l’Inde ; nous arrivons ici à une langue polysyllabique et à flexions rudimentaires, qui n’a plus de commun avec le cambodgien que quelques mots venus par l’intermédiaire talain, et une singulière délicatesse d’inflexions dans la prononciation des voyelles. D’après certains auteurs, cette langue serait un dialecte aryen qui se serait substitué de bonne heure à la langue aborigène. Cf. Janneau, Manuel pratique de la langue cambodgienne, p. V, 149 ; Mason, Burmah, its people and natural productions, p. 131 ; Tickell, J. A. S. B. 1840, p. 997, 1063 ; Hodgson, J. A. S. B. 1848, p. 551 et suiv. J. Forsyth, The Highlands of central India, p. 23. Les quelques intéressants vocabulaires réunis par Rastian dans le tome IV de son grand ouvrage sur l’Indo-Chine sont malheureusement entachés de si nombreuses fautes d’impression que leur examen est plus dangereux qu’utile.