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Page:Louis Delaporte - Voyage d'exploration en Indo-Chine, tome 1.djvu/241

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SÉJOUR À BASSAC.

auquel je courais, les reproches qui lui seraient faits plus tard pour m’avoir laissé accomplir une telle imprudence. Il m’affirma de nouveau que les communications étaient impossibles même pour les simples bateaux de trafiquants, et que, consentirait-il à me laisser partir, je ne pourrais trouver aucun batelier de bonne volonté pour me conduire. Il avait envoyé, quelques jours auparavant, des émissaires à la frontière pour lui rapporter des nouvelles, et ces émissaires venaient de lui apprendre l’assassinat par les rebelles du gouverneur de Sombor, celui-là même à qui M. de Lagrée avait donné un revolver. Enfin il me promit, si je voulais renoncer à mon projet, de faciliter par tous les moyens le départ de l’interprète Alexis qui, comme indigène, pouvait circuler sans éveiller l’attention, tandis qu’il était toujours impossible de dissimuler la présence d’un Européen. Je dus accepter cette dernière combinaison, qui, si elle ne garantissait nullement l’arrivée du courrier que nous attendions, permettait au moins de faire parvenir à Saïgon les indications nécessaires pour qu’on pût tenter en connaissance de cause de communiquer avec nous.

Je voulus cependant utiliser mon voyage à Stung Treng, et je me proposai d’aller reconnaître le confluent du Se San, la branche la plus sud de la rivière d’Attopeu. Je commençais mes préparatifs de départ, quand arriva la nouvelle que les sauvages insurgés venaient de faire irruption sur ce point et de brûler le village laotien qui s’y trouvait. Le gouverneur me fit en même temps de nouvelles et plus vives instances pour m’engager à reprendre le chemin de Bassac ; mon séjour se prolongeait beaucoup trop au gré de ses inquiétudes. Il fallut céder ; je remis à Alexis une lettre adressée à l’amiral La Grandière, exposant les raisons qui m’avaient empêché d’aller plus loin à la rencontre du courrier de la colonie, et je lui recommandai de saisir la première occasion favorable pour effectuer son retour à Pnom Penh. Le 12 novembre au matin, je repris le chemin de Bassac. Je profitai de mon voyage pour compléter la carte de la partie du fleuve comprise entre Stung Treng et les cataractes.

Cette carte reste encore bien imparfaite, et les nombreuses îles qui encombrent le lit du fleuve sont loin d’y être entièrement et exactement placées. C’est là un travail réservé à des hydrographes disposant de plus de temps et de ressources.

À mi-chemin, entre Stung Treng et Khong, le fleuve coule le long de la rive droite entre d’énormes blocs de marbre que les eaux ont creusés et polis. Je fus vivement frappé de cette particularité qui avait échappé aux investigations de l’expédition lors de son premier passage, la crue des eaux recouvrant à ce moment les berges du fleuve. Quoique sans outils, je parvins à détacher quelques fragments de couleurs variées. La proximité de ces marbres de notre colonie de Cochinchine, les facilités d’exploitation et de transport qu’ils présentent, puisqu’ils sont sur les bords mêmes du fleuve et au-dessous des cataractes, me paraissent devoir appeler l’attention du gouvernement de Saïgon.

Dans le voisinage de ces marbres, des bancs de sable et des îles en formation élargissent démesurément le lit du fleuve, et cette partie de son cours n’offre au moment de la baisse des eaux qu’un triste et monotone aspect. Les feuilles flétries par les flots boueux de l’inondation en gardent la couleur jaunâtre ; les arbres frappés par le courant restent