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Page:Louis Delaporte - Voyage d'exploration en Indo-Chine, tome 1.djvu/394

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ligne rouge tracée un peu plus loin sur la paroi unie et verticale du rocher. Cette ligne accuse une différence de 17m,50 entre le niveau des plus basses eaux et celui de l’inondation. La différence normale, résultant de la moyenne de plusieurs années ordinaires, n’est que de 10m,70. La profondeur maximum du fleuve, au moment de notre passage, était de 16 mètres vis-à-vis de l’embouchure du Nam Hou.

Les maisons du village de Pak Hou s’échelonnent sur la rive gauche, derrière le banc de sable dont j’ai parlé ; il forme une espèce de crique ou de port naturel dans lequel nos pirogues s’étaient déjà amarrées pour la nuit. Cette station était, à tous les points de vue, exceptionnellement confortable : au lieu de nos étroites pirogues, des cases bâties sur le sable, à l’intention des voyageurs, devaient nous servir de dortoirs.

La nuit était presque venue : je me hâtai de remonter dans une barque légère pour aller faire quelques sondages, et, conduit par deux rameurs, je remontai pendant un mille ou deux le cours du Nam Hou. Le courant était presque nul, l’onde était aussi claire et aussi silencieuse que les eaux du Cambodge étaient troublées et bruyantes. En glissant le long de la muraille de roche qui forme sur la rive droite une berge entièrement à pic, de plus de 350 mètres de hauteur[1], ma barque produisait un léger clapotis, dont le bruit argentin vibrait comme un écho dans l’atmosphère de la nuit. À une énorme hauteur au-dessus de ma tête, volaient quelques oiseaux de proie attardés, qui rejoignaient leurs nids, placés hors d’atteinte dans quelques-unes des crevasses du rocher. Leurs cris rauques et discordants devenaient de plus en plus rares. Je fis cesser de ramer pour jouir à loisir de ce moment de calme et de fraîcheur que ramènent les premières étoiles, et qui est si délicieux dans les pays chauds. On n’entendait que le sourd et monotone murmure du grand fleuve, et la douce chanson des insectes nocturnes, racontant aux buissons de la rive leurs mystérieuses amours.

Le Nam Hou, après avoir fait une légère inflexion au sud-est, se redressait vers le nord. C’était là cette route facile et directe vers la Chine à laquelle M. de Lagrée avait songé un instant. La rivière, qui avait une cinquantaine de mètres de large et une profondeur uniforme de cinq mètres, ne présentait point les allures d’un cours d’eau longtemps navigable. Nous étions, il est vrai, à la fin de la saison sèche, et la limpidité de ses eaux attestait que les pluies ne s’étaient pas encore fait sentir dans la partie supérieure de sa vallée. Celle-ci nous eût offert des paysages plus nouveaux et des populations moins connues que ceux que nous allions rencontrer sur les bords du Cambodge. Au point de vue politique, elle nous offrait, peut-être, par son voisinage du Tong-king, un intérêt plus exclusivement français ; et, si l’intérêt géographique qui dominait notre mission nous a invinciblement attaché à la reconnaissance du fleuve principal, il convient de signaler expressément à nos successeurs l’étude de cette contrée inconnue, qui promet d’être si féconde en découvertes ethnographiques.

La nuit était devenue fort noire ; mes Laotiens, qui étaient restés jusque-là silencieusement accroupis aux extrémités de la barque, me tirèrent de ma rêverie : le courant

  1. Voyez Atlas, 2e partie, pl. XLV.