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DE LUANG PRABANG À MUONG YONG.

Lagrée en alléguant l’ignorance où il était de la présence à Xieng Tong d’un officier birman. « Pourquoi ces gens-là se prétendent-ils puissants et savants, lorsqu’ils ignorent de telles choses ? » lui répondit l’agent d’Ava. Le roi avait fini par passer outre à sa résistance, en lui disant : « Que craignez-vous donc ? ils ne sont que seize, et nous sommes quarante mille. Croyez-vous qu’ils l’emporteront sur nous ? »

Le chef de l’expédition demanda immédiatement au mandarin de Muong Lim les moyens de transport nécessaires à la continuation de notre route ; nous allions longer la vallée du fleuve en nous dirigeant au nord-est ; c’était la voie la plus courte pour arriver à Xieng Hong, ou Alévy, patrie de notre interprète et ville où s’était arrêté, en 1837, le lieutenant Mac Leod. Elle est située sur la rive droite du fleuve, par 22° de latitude nord. Outre le territoire de Xieng Tong, nous devions traverser celui de Xieng Kheng ou Muong You, autre province laotienne tributaire d’Ava, dont le gouverneur, frère cadet du roi de Xieng Tong, avait également reçu depuis trois ou quatre ans le titre de roi.

Malgré l’autorisation qui nous était accordée par le roi de Xieng Tong, les autorités locales ne nous furent que d’un mince secours, dès qu’il s’agit de débattre les conditions d’engagement de nos porteurs de bagages : il fallut passer par toutes les exigences des indigènes. Nous ne réussîmes à aucun prix à les décider à porter dans un hamac M. Delaporte, qui ne pouvait ni marcher ni monter à cheval. Porter un malade, c’était s’exposer à être malade soi-même, disaient les habitants. « Je me plaindrai à Ava de ce refus de concours, disait M. de Lagrée. — Écrivez à qui vous voudrez, répondait le gouverneur ; je n’y puis absolument rien. » — Et en effet, les administrés conduisent ici leurs administrateurs plus qu’ils ne sont conduits par eux. Il fallut faire porter M. Delaporte par nos Tagals et nos Annamites, dont quelques-uns, naturellement peu vigoureux, étaient à ce moment abattus par la fièvre. Avant de partir, nous fîmes faire un exercice à feu à notre escorte, pour diminuer nos munitions, et en même temps pour faire admirer la portée et la précision de nos armes.

Le 1er juillet, nous nous mîmes en route pour Paleo. Il fallut, au début de notre voyage, traverser une immense étendue de rizières fraîchement labourées, et circuler sur d’étroits talus en partie détruits par la pluie, où nous enfoncions jusqu’à mi-jambe. Nous passâmes à gué le Nam Mouï, affluent du Nam Lim, avec de l’eau jusqu’à la ceinture. Au delà du gué, se trouve un petit village. J’étais resté sur les bords de la rivière pour assister au passage de M. Delaporte et pour diriger ses porteurs, qui, tous d’assez petite taille, avaient à lutter contre un fort courant et à éviter que le hamac ne fût atteint par l’eau. Le passage heureusement effectué, nous nous préparions à traverser le village pour rejoindre la tête de la colonne, quand quelques indigènes s’empressèrent à notre rencontre et nous firent signe de changer de route. Je crus d’abord que nous nous trompions, et que l’on voulait nous remettre dans le bon chemin ; mais je ne tardai pas à m’apercevoir, aux figures inquiètes et aux gestes menaçants de nos interlocuteurs, que cette démonstration était dirigée contre le malade, dont la présence dans le village devait être évitée comme étant d’un présage fâcheux. Mon indignation et celle des hommes de l’escorte qui m’entouraient s’exprima d’une façon assez énergique pour