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Page:Louis Delaporte - Voyage d'exploration en Indo-Chine, tome 1.djvu/425

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Nous arrivâmes, le 1er août, à Ban Passang, agglomération de villages située sur un plateau, cultivé en rizières, dont le sol était affreusement détrempé par les pluies et par les labours. Nous avions quitté le territoire de Muong You et nous nous trouvions sur le territoire de Muong Yong, petite province qui relève de Xieng Tong et dont le chef-lieu se trouve à peu de distance dans l’ouest. Une route plus directe nous aurait conduits de Sop Yong à Muong You, sans nous faire repasser encore par le territoire de Xieng Tong, et j’en avais plaidé la cause auprès du commandant de Lagrée. Mais il eût fallu faire quatre jours de marche en pleine forêt, et le chef de l’expédition avait jugé cet effort au-dessus de nos forces. Le détour auquel il s’était arrêté allait être fatal à la rapidité de notre marche.

Le 5 août, la partie de l’expédition restée à Sop Yong nous rejoignit. MM. de Lagrée et Delaporte repartirent presque aussitôt pour visiter un Tât très-ancien et très-célèbre, situé au sud de Muong Yong, sur le versant d’une des montagnes qui limitent de ce côté la plaine de Ban Passang. Des porteurs furent demandés au chef du village pour le surlendemain, jour fixé pour le voyage du reste de l’expédition à Muong Yong.

Quelques heures après le départ du commandant de Lagrée, deux soldats birmans arrivèrent à la pagode dans laquelle nous étions campés. Ils venaient, de la part du mandarin birman qui résidait à Muong Yong, nous inviter à passer par cette localité. Comme je viens de le dire, elle était comprise dans notre itinéraire, et je pus répondre que nous nous rendrions au désir de l’officier birman. Je voulus cependant m’assurer de la nature de son invitation, et je feignis de réserver le cas où M. de Lagrée changerait d’avis et voudrait se rendre directement de Ban Passang à Muong You. D’énergiques gestes de dénégation accueillirent cette ouverture. L’invitation était un ordre : il fallait passer par Muong Yong. Il devenait probable que le mandarin birman de Xieng Tong, désolé de nous avoir laissés échapper une première fois de ses griffes, avait résolu de nous rattraper à tout prix et qu’il avait envoyé des instructions dans ce sens à son subordonné de Muong Yong. L’invitation de passer par Xieng Tong, que le commandant de Lagrée avait reçue et déclinée à Siemlap, me sembla dès ce moment un ordre auquel nous ne pourrions plus nous dispenser de déférer.

Nous partîmes le 7 août, pour Muong Yong. La plaine que nous traversâmes est admirablement arrosée par plusieurs cours d’eau qui se rendent tous dans le Nam Yong. Un pont en bois est établi sur la plus importante de ces rivières, le Nam Ouang, et cette attention délicate, à laquelle sont peu habitués les voyageurs dans le Laos, nous causa une agréable surprise : nous la considérâmes comme l’indice d’une civilisation plus avancée, qui n’allait pas tarder à se manifester à nous d’une façon plus complète. Une partie de la plaine est cultivée en rizières, l’autre est encore à l’état de marécages. Les villages que nous rencontrions avaient un aspect de confort et d’aisance peu ordinaire. Leurs pagodes aux toits recourbés charmaient nos regards en nous attestant l’influence de l’architecture chinoise et le voisinage du Céleste Empire. Nous arrivâmes vers midi à Muong Yong, après avoir traversé la vallée du Nam Ouang dans sa plus grande largeur, qui est de trois lieues environ.