Aller au contenu

Page:Louis Delaporte - Voyage d'exploration en Indo-Chine, tome 1.djvu/434

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

de l’opium à Muong Phong et dans les contrées voisines, avaient été assassinés. Un seul avait échappé et était revenu porter la nouvelle. Nous tremblions à chaque instant de recueillir des rumeurs aussi fâcheuses sur M. de Lagrée et ses quatre compagnons de voyage.

Le 6 septembre, nous apprîmes par le bruit public que M. de Lagrée, au lieu de revenir à Muong Yong, devait partir ou était parti déjà de Xieng Tong pour Muong You. Il n’y avait dès lors qu’une explication à son silence : ses messagers avaient été infidèles, ou bien il leur était arrivé un accident en route. Je me décidai à demander à partir pour Muong You avec toute l’expédition, afin de m’assurer si nous avions réellement recouvré la liberté de nos mouvements. Le Birman ne fit aucune objection ; des ordres furent donnés pour la réunion des porteurs qui nous étaient nécessaires, et notre départ fut fixé au 8 septembre.

La veille, au milieu de nos préparatifs, arriva enfin une lettre du commandant de Lagrée. Elle n’était pas datée ; mais le porteur, qui n’était autre que le petit officier de Muong Yong qui avait escorté le chef de l’expédition jusqu’à Xieng Tong, nous dit qu’elle lui avait été remise le 1er septembre. M. de Lagrée me confirmait la bonne nouvelle qui m’avait déjà été donnée par le Birman, tout en l’entourant de restrictions qui laissaient prévoir encore de nouvelles difficultés. Il me donnait en même temps quelques détails sur son voyage et ses négociations. Il était arrivé avec M. Thorel à Xieng Tong, le 23 août, et il avait été reçu le surlendemain par le roi. L’accueil du prince indigène fit immédiatement deviner au chef de la mission française qu’aucun obstacle ne lui viendrait de ce côté. La visite faite par Mac Leod, en 1837, au père du roi de Xieng Tong, visite dont celui-ci avait gardé le meilleur souvenir, était peut-être l’une des causes les plus puissantes de la bienveillance qu’il témoigna aux voyageurs français. Il parla souvent à M. de Lagrée de l’officier anglais, de son costume, de ses instruments, en homme que tous ces détails avaient frappé comme la révélation d’une civilisation supérieure. En sortant de chez le roi, M. de Lagrée se rendit à l’assemblée des mandarins. Elle se compose de trente-deux fonctionnaires, représentant les trente-deux muongs ou provinces du royaume ; ils sont nommés par le roi, à l’exception de deux d’entre eux, plus élevés en grade, qui sont désignés par la cour d’Ava. La réception que ce conseil fit à M. de Lagrée fut presque aussi amicale que celle du roi. Le lendemain, ce fut le tour du mandarin birman, qui porte le titre de Pou Souc. C’était, disait-on, par une faveur et une bienveillance tout exceptionnelles qu’on permettait au commandant de Lagrée de faire, à des intervalles aussi rapprochés, toutes les visites officielles obligatoires. D’ordinaire, il est de règle de laisser s’écouler une semaine entre chacune d’elles. L’accueil du représentant de la cour d’Ava fut peu bienveillant. On avait demandé au commandant de Lagrée de se déchausser en entrant chez le roi ; mais, devant son refus, basé sur la différence des usages européens, on n’avait point insisté. Les soldats birmans qui gardaient l’entrée de la salle de réception du Pou Souc ne se montrèrent pas aussi accommodants et voulurent avec force menaces contraindre MM. de Lagrée et Thorel à ôter leurs souliers. Ces soudards, à moitié ivres, allèrent même jusqu’à tirer leurs sabres et proférèrent beaucoup d’injures au milieu desquelles le mot