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Page:Louis Delaporte - Voyage d'exploration en Indo-Chine, tome 1.djvu/485

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Je pris ma route dans cette direction ; le plateau s’inclinait légèrement : son arête la plus haute est celle qui borde le cours du fleuve. Les villages que je traversais étaient tous habités par des Lolos et des Pa-y. Les femmes lolos se reconnaissent facilement à leurs cheveux roulés sur la tête, à leur turban orné de clous d’argent, à leurs pantalons et à leurs larges tuniques. On commençait partout à rentrer la moisson que l’on réunissait en meules sur les terrasses des maisons ; ces meules donnaient, de loin, aux villages le singulier aspect d’immenses ruches d’abeilles. Peu à peu les cultures se multiplièrent et les villages, construits presque tous sur les bords des étangs qui remplissent les dépressions du terrain, s’agrandirent. Le type chinois reparut de nouveau. Des routes de chars sillonnaient de tous côtés la plaine. Le 30 novembre, du haut d’une éminence, j’aperçus à une vingtaine de kilomètres, la ville de Lin-ngan, bâtie sur le flanc d’une belle plaine qu’arrose une rivière sinueuse et qu’enserrent deux rangées de collines de marbre, dont les croupes stériles offrent un contraste saisissant avec ses riantes cultures.

J’arrivais à Lin-ngan le lendemain au soir ; ma petite escorte me conduisit dans une belle pagode ; je trouvai aisément à me loger dans un bâtiment latéral, formant l’un des côtés de la cour au fond de laquelle s’élève le sanctuaire. Ma venue n’était pas annoncée ; dans une ville aussi populeuse, le petit nombre d’hommes qui m’accompagnaient ne pouvait éveiller l’attention. Ma figure étrangère fit à peine tourner la tête sur mon passage à une vingtaine de personnes. Aussi, après m’être installé dans la pagode, je crus pouvoir, sans inconvénients, visiter la ville. Son enceinte est très-forte et de forme rectangulaire, elle a deux kilomètres environ de longueur sur un kilomètre de largeur. Au centre se trouvent des Yamens, des jardins, des pagodes, décorés avec goût ; beaucoup ont été incendiés par les Mahométans et n’ont pas encore été relevés de leurs ruines ; on y retrouve d’admirables échantillons de ces marbres à couleurs si variées et si belles qui affleurent partout le sol du plateau de Lin-ngan. En avant des portes nord et sud de la ville, s’étendent de longs faubourgs où s’agite une population affairée et nombreuse. Un marché très-important et d’une animation très-pittoresque se tient sous de vastes hangars appropriés à cet effet.

Pendant que j’examinais les étalages des boutiques, la foule s’amassait derrière moi ; j’entendais le mot de koula circuler dans les groupes. Depuis notre entrée en Chine, nous avions pu nous habituer déjà à l’importune curiosité de la population, mais ici j’étais seul à en supporter le poids. Je crus prudent de battre en retraite et je revins à mon logement. Je ne tardai pas à y être littéralement assiégé ; il fallut céder à la furie publique et renoncer à lutter contre l’envahissement des curieux. La chambre que j’occupais était trop étroite pour le nombre de mes visiteurs. Quelques Chinois vêtus avec recherche, à la parole grave et à la physionomie vénérable, vinrent me conseiller de satisfaire la foule une fois pour toutes, et de me montrer au dehors, dans la cour de la pagode, où se pressaient des milliers de personnes. Si j’y consentais, me dirent-ils, ils me garantissaient qu’il ne me serait fait aucun mal ; mais, dans le cas contraire, ils ne pouvaient répondre des exigences de la foule. Je me résignai donc à descendre et à me promener de long en large