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Page:Louis Delaporte - Voyage d'exploration en Indo-Chine, tome 1.djvu/494

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à perte de vue dans la direction du nord-nord-est. De riches cultures, parmi lesquelles dominent celles du pavot et du tabac, couvrent ses rives et s’avancent souvent fort loin dans ses eaux. Ces conquêtes de l’agriculture sur le terrain du lac le font ressembler en certains points à une mare ; mais les cultures sont si soignées et d’un si riant aspect, qu’on ne regrette point ces petits accrocs faits à l’ensemble du paysage.

Les autorités et une partie de la garnison de la ville nous attendaient aux portes, au milieu d’un immense concours de peuple. On nous conduisit en grande pompe dans une pagode située à l’intérieur de l’enceinte ; la foule ne tarda pas à se ruer à nos portes ; personne ne put entrer ou sortir sans qu’un flot de curieux se précipitât dans les cours et vint nous rendre tout travail impossible. Sur nos réclamations, une garde nombreuse fut installée devant notre logement ; les curieux ne purent s’aventurer à regarder par nos portes, quand elles s’entre-bâillaient, sans recevoir des volées de coups de bâton. La foule alors s’exaspéra et tenta l’escalade des murs. Les maisons voisines furent prises d’assaut, et leurs toits servirent d’ouvrages avancés pour parvenir jusqu’à nous. Il fallut recourir aux grands moyens. Des soldats montèrent sur nos toits et repoussèrent les envahisseurs à coups de lance ; dans les cours, les fusils furent chargés et les mèches allumées. Je doute cependant que ces menaçants préparatifs eussent produit l’effet désirable si on n’eût vu, derrière notre garde chinoise, nos Annamites et nos Tagals mettre au bout de leurs carabines leurs sabres-baïonnettes. La forme étrange de cette arme inconnue fit une vive et salutaire impression, et, à la nuit tombante, les habitants de Tong-hay nous laissèrent goûter le repos dont nous avions si grand besoin.

Nous quittâmes Tong-hay le 16 décembre, par un temps de neige qui dura toute la journée. Malgré le piquant et la nouveauté de ce paysage, nous étions trop brusquement surpris par le froid et trop peu vêtus pour ne pas trouver l’épreuve un peu dure. Nos pauvres Annamites, qui assistaient pour la première fois à ce phénomène, le trouvèrent charmant pendant le premier quart d’heure, et s’extasièrent devant ces légers flocons blancs qui, lentement et sans bruit, venaient se poser comme à regret sur leurs épaules. Mais leurs pieds nus et leurs mains bleuies par le froid ne tardèrent pas à refuser tout service. Cette journée de marche fut pour eux et pour nous-mêmes une des plus pénibles du voyage.


Nous longions la rive orientale du lac ; la route, bien empierrée, desservait de nombreux villages, tous chinois, dont les habitants paraissaient fort mal disposés pour notre escorte et nos porteurs. Les soldats du Leang ta-jen semblaient rabattre un peu ici de leurs allures insolentes, et nous disaient tout bas que les gens du pays aimaient les Koui-tse plus que de raison. Nous trouvâmes à mi-route une rivière d’un aspect régulier comme celui d’un canal et d’un courant assez rapide, par laquelle se déchargeaient les eaux du lac. Nous arrivâmes le soir à un village situé dans une gorge étroite, près du col de la petite chaîne qui ferme au nord le bassin du lac. Nous eûmes toutes les peines du monde à nous procurer le bois nécessaire pour réchauffer nos membres roidis. L’escorte de soldats du Leang ta-jen était évidemment mal vue des habitants et nous rendait impopulaires ; aussi nous empressâmes-nous de la congédier.

Le lendemain nous continuâmes notre roule par un beau soleil, impuissant à fondre