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Page:Louis Delaporte - Voyage d'exploration en Indo-Chine, tome 1.djvu/533

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DE YUN-NAN À TA-LY.

qui habitent ces contrées à laisser circuler librement ces étrangers sans les molester en aucune façon. On se conformera ainsi aux volontés de la sainte dynastie Ta-thsing qui témoigne une égale bonté à tous les hommes, sans distinction de pays ou de nationalité.

« En foi de quoi, moi, par la grâce de l’empereur, dignitaire du second ordre, grand prêtre de la province du Yun-nan, réformateur de l’antique famille Ma-te-sin, j’ai donné, à l’âge de 80 années, la lettre ci-dessus. »

On voit que rien n’était plus orthodoxe au point de vue politique que le passe-port du Lao-papa. Il ne faisait aucune allusion à sa rébellion passée et se montrait à ses coreligionnaires de Ta-ly un fidèle sujet de l’empereur.

Le vice-roi du Yun-nan nous remit à son tour un fou-pay ou permis de circulation ; le seul itinéraire qui y fût indiqué était notre voyage de retour par Tong-tchouen, Tchao-tong, le fleuve Bleu et Shang-haï. Un petit mandarin chrétien, à globule de cuivre, fut chargé de nous accompagner jusqu’à Tong-tchouen.

Nous partîmes de Yun-nan le 8 janvier, accompagnés du P. Fenouil qui retournait à Kiu-tsing. Notre première étape sur la route dallée qui de Yun-nan se dirige vers le nord de la province, fut Ta-pan kiao, gros bourg situé sur un affluent du lac. Il est célèbre dans l’histoire locale. L’officier mongol qui commandait à Yun-nan vint y apporter, en 1381, au général de l’armée envoyée par le Ming, le sceau en or du roi du Yun-nan, prince de Leang et descendant de Khoubilai Khan (A. D. 1381).

Au delà de Ta-pan kiao, on traverse une plaine ondulée et inculte, sillonnée dans tous les sens de convois de bêtes de somme et de chariots étroits et bas qui apportent à la capitale le bois à brûler, que ses environs immédiats, complètement déboisés, ne peuvent plus lui fournir. Après avoir franchi le col peu élevé qui limite la plaine au nord, on arrive au village de Yang-lin. Il est situé sur les bords d’un étang, auprès duquel achève de mourir une chaîne de montagnes qui vient du nord. Les villes de Song-ming et Ma-long, par lesquelles on passe pour aller à Kiu-tsing, sont à l’est de cette chaîne. Nous devions en suivre au contraire le versant occidental. L’heure de notre séparation avec le P. Fenouil avait sonné. Ce prêtre, que nous connaissions depuis dix jours à peine, était devenu pour nous un ami ; de son côté, il quittait, pour ne jamais les revoir, des compatriotes avec lesquels, pour la première fois depuis vingt ans, il avait pu parler de la France et des siens. Ses yeux se mouillèrent de larmes et nous ne pûmes nous défendre d’une douloureuse émotion en échangeant avec lui une dernière poignée de main.

Nous cheminâmes le 10 janvier sur un vaste plateau, où s’étalaient de riches cultures, arrosées par de nombreux ruisseaux canalisés. Des rideaux de cyprès bordaient les routes aux abords des villages. De grandes fermes s’éparpillaient de tous côtés au milieu des champs. Les ustensiles d’agriculture, les meules, les bestiaux que l’on voyait auprès des habitations, l’aspect de la végétation, le givre qui scintillait aux branches donnaient à ce paysage des allures européennes qui nous faisaient tressaillir d’aise. Celui qui nous eût proposé d’échanger ce tableau monotone, dépourvu de pittoresque et de nouveauté, contre les plus belles et les plus vierges forêts du Laos eût été certainement très-mal accueilli.

Le lendemain la plaine se mamelonna ; quelques étangs apparurent dans les plis du