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Page:Louis Delaporte - Voyage d'exploration en Indo-Chine, tome 1.djvu/550

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ENTRÉE SUR LE TERRITOIRE MAHOMÉTAN.

est construite à l’extrémité de cette plaine, sur les bords du Ta-lanho, s’étend, non moins dévastée, au milieu de riantes cultures. Une citadelle récemment réparée, deux hautes murailles percées de meurtrières et entourées d’un fossé plein d’eau, s’élèvent au nord de la ville et présentent des dispositions défensives bien entendues, pour un pays où les armées assiégeantes ne disposent en général que de grosse mousqueterie.

Pin-tchouen était le premier point où nous allions trouver des chefs mahométans d’une certaine importance, et où nous pouvions rencontrer des obstacles sérieux à la continuation de notre roule. Immédiatement après notre installation dans l’hôtellerie la plus confortable de la ville, nous reçûmes la visite du commandant de la citadelle et de quelques-uns de ses officiers. Je leur communiquai la lettre du Lao-papa, elle parut leur inspirer pour nous une grande estime ; quelques petits cadeaux achevèrent leur conquête et je fus assuré dès lors de parvenir sans entrave jusqu’au P. Leguilcher.

Nous sortîmes du bassin de la rivière de Pin-tchouen, comme de tous ceux que nous n’avions fait que traverser depuis Nga-da-ti, par la vallée d’un affluent latéral que nous remontâmes jusqu’à la ligne de partage des eaux. Nous découvrîmes de là un fort bel horizon[1] : à nos pieds s’étendait la vallée mamelonnée et irrégulière de Pien-kio ; au-dessus des croupes irrégulières et ravinées qui la limitent à l’ouest, s’élevaient les cimes lointaines et neigeuses des montagnes de Li-kiang au nord et de la chaîne qui borde le lac de Ta-ly au sud. Nous étions loin encore de Pien-kio, grand marché et centre d’une région riche et florissante avant la guerre. L’impatience de faire connaissance avec un prêtre catholique chinois, le P. Fang, que nous savions devoir y rencontrer, nous fit doubler l’étape. Nous arrivâmes le soir chez lui après une marche de dix heures. Sa maison était la seule habitable du village, qui avait été brûlé à plusieurs reprises. Un hangar assez vaste et assez confortable servait de chapelle à la petite chrétienté. Le P. Fang était absent, mais notre majordorme, Tching-eul-yé, lui fit savoir l’arrivée des « grands hommes français », et il arriva tout à la hâte. Sorti depuis plus longtemps que le P. Lu du collège de Poulo Pinang, le latin avait un peu fui de sa mémoire et il eut quelque peine à converser avec nous dans cette langue. Nous ne nous trouvions plus qu’à une journée de marche de la résidence du P. Leguilcher : j’écrivis à celui-ci une courte lettre pour lui annoncer l’arrivée de la Commission française, et le P. Fang la lui expédia le soir même. Celui-ci nous peignit en quelques paroles simples et attristées la désolation de ce malheureux pays qui était exposé aux incursions des Blancs de Ta-ly, des Rouges de Kieou-ya-pin et de Ma-chang, des sauvages de la montagne. C’était la quatrième fois, ajouta-t-il, qu’il reconstruisait sa demeure.

Le lendemain, après la messe de notre hôte, nous nous mîmes en route, non sans avoir laissé, comme nous l’avions fait à Ma-chang, quelque souvenir de notre passage à la petite église. Nous traversâmes sur un beau pont de pierre la rivière, assez considérable, qui coupe du nord au sud la plaine de Pien-kio : la moitié des rizières jadis établies sur ses bords étaient abandonnées. Çà et là, des ossements blanchis marquaient le lieu d’un

  1. Voy. Atlas, 2e partie, pl. XL. Le titre de cette planche doit être rétabli comme il suit : Panorama pris des hauteurs qui bordent la vallée de Pien-kio.