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Page:Louis Delaporte - Voyage d'exploration en Indo-Chine, tome 1.djvu/560

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COMMERCE ET ETHNOGRAPHIE DU NORD DU YUN-NAN.

les montagnes du Se-tchouen et du nord du Yun-nan, a produit dans cette région une variété infinie de types dont il était très-difficile, dans un voyage aussi rapide que le nôtre, de déterminer la valeur ethnographique. Je vais indiquer sommairement les plus importants de ceux que nous avons rencontrés.

Les Y-kia ou Pe Lolos, « Lolos blancs »[1], portent la queue et sont, de toutes ces populations mixtes, celle qui a été le plus complètement assouplie par la civilisation chinoise. Les femmes ont les cheveux divisés en deux tresses, portent un petit turban sur la tête et le costume des campagnardes chinoises, moins la chaussure. Elles vont pieds nus. Les Y-kia habitent le territoire compris entre Ma-chang et Nga-da-ti. Ils sont bons agriculteurs, d’un naturel superstitieux et craintif et paraissent honteux de leur origine. Dès qu’ils le peuvent, ils se travestissent en Pen-ti.

Les He Lolos ou « Lolos noirs » portent tous leurs cheveux et se considèrent comme supérieurs aux précédents. Je crois que l’on peut comprendre sous cette appellation générale les tribus qui, sous les différents noms de Man-tse, de Lissous, de Si-fan, sont disséminées depuis les frontières occidentales du Se-tchouen jusqu’aux rives de la Salouen. De ces tribus, quelques-unes paraissent appartenir au rameau noir de la race caucasique ; les autres sont probablement un mélange de ce rameau et de la race tibétaine.

La langue des Man-tse où l’on remarque de nombreux emprunts faits au chinois et au birman, est très-voisine de celle que parlent les Lolos et les Ka-to des environs de Yuen-kiang ; ces tribus ont évidemment entre elles une étroite parenté. Les quelques mots rapportés par Brown[2] de la langue des A-ka et des Abors, peuplades des versants de l’Himalaya et de la vallée supérieure du Brahmapoutre, offrent quelque ressemblance avec les mots Lolos et Ka-to correspondants. Tous ces dialectes sont parlés recto tono. Je n’ai pu me procurer aucun spécimen du langage des Lissous et des Si-fan. Je n’ai aucune hésitation cependant à ranger ces derniers dans la même famille ethnographique que les Lolos et les Ka-to, d’après le court vocabulaire donné par le P. Amyot[3]. Les Lissous, qui de toutes ces populations sont les plus sauvages et les plus indomptables, paraissent se rapprocher des tribus de langue melam qui habitent les parties tibétaines de la vallée de la Salouen et du Mékong. Leur type semble leur attribuer une forte proportion de sang caucasique ; leur costume et leurs mœurs les rattachent aux populations précédentes.

  1. Les noms de toutes ces tribus sont loin d’avoir une signification ethnique. Ce ne sont que des désignations chinoises qui varient souvent avec les localités. Le mot Lolo paraît avoir dans le Yun-nan la signification vague et générale du mot Kha en laotien. Aussi, différents auteurs, écrivant d’après les sources ou les renseignements chinois, ont appliqué le nom de « Lolos » aux Laotiens et en général à toutes les populations limitrophes de la Chine au sud-ouest. Kia, qui entre souvent en composition dans les noms de tribus, signifie en chinois « race, famille ». Y signifie : étranger. Y-kia veut dire par conséquent : « race étrangère ». La plupart de ces appellations sont considérées par ceux auxquels elles s’appliquent comme de sanglantes injures. Les Lolos se désignent eux-mêmes sous le nom de tou-kia, « race autochthone, indigène », ou de tchin-si, « parents ».

    Consulter pour les types et les costumes de toutes ces populations, les planches II et XXXIX de la 2e partie de l’Atlas. Le titre de la planche XXXIX doit être rétabli comme il suit : Populations mixtes du nord du Yun-nan.

  2. F. A. S. B., t. IV, p. 1032.
  3. Manuscrit n°936 à la Bibliothèque nationale.