Page:Lourié - La Philosophie de Tolstoï.djvu/92

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et commencent à vivre pour le bien des autres et commencent à aimer les autres plus qu’eux-mêmes. Ce n’est qu’à cette condition que le bonheur et la vie seront possibles, ce n’est qu’à cette condition que disparaîtra tout ce qui empoisonne la vie de l’homme : la lutte des êtres, la douleur des souffrances et la terreur de la mort. La terreur de la mort ne provient que de la crainte de perdre, lors de la mort charnelle, le bien de la vie.

Mais si l’homme pouvait identifier son bonheur avec celui des autres êtres, c’est-à-dire les aimer plus que lui-même, la mort ne lui semblerait pas la cessation du bonheur et de la vie, comme cela a lieu pour celui qui ne vit que pour lui-même. Celui qui vit pour les autres ne peut regarder la mort comme l’anéantissement du bonheur et de la vie, car le bonheur et la vie des autres êtres, bien loin d’être anéantis par la mort de l’homme voué à leur service, sont très souvent augmentés et affermis par le sacrifice de sa vie.

L’homme raisonnable ne peut s’empêcher de reconnaître qu’en admettant, en théorie, la possibilité de remplacer la recherche de son bien par la recherche du bien des autres êtres, sa vie, de misérable et de déraisonnable qu’elle était auparavant, devient raisonnable et heureuse. En supposant la même idée de la vie chez d’autres hommes, la vie du monde entier devient le bien raisonnable le plus élevé auquel l’homme puisse aspirer. Le but de l’existence de l’Univers apparaît alors comme un progrès infini vers la lumière, comme l’union de tous les êtres de l’Univers. Cette union, c’est l’objet même de la vie.