Page:Lourié - La Philosophie de Tolstoï.djvu/94

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

souffrance n’est adoucie que par la conscience et l’activité de la vraie vie, qui suppriment la disproportion existant entre la vie individuelle et le but entrevu par l’homme. Tous les hommes connaissent le sentiment qui résout toutes les contradictions de la vie humaine et donne le bien suprême à l’homme : ce sentiment, c’est l’amour.

Le sentiment de l’amour est la manifestation de l’individualité soumise à la conscience réfléchie. La raison est la loi à laquelle doit être soumise l’individualité animale de l’homme, pour acquérir son bien. L’amour est la seule activité raisonnable de l’homme. Aimer signifie faire le bien. Si l’homme décide qu’il est préférable pour lui de résister aux exigences de l’amour présent, le plus faible, au nom de la manifestation d’un grand amour futur, il trompe ou lui-même ou les autres et n’aime que lui-même. L’amour à venir n’existe pas ; l’amour n’est que l’activité dans le présent. L’homme, qui ne manifeste pas son amour dans le présent, n’a pas d’amour. Le principe de l’amour, sa racine, n’est pas comme on se l’imagine ordinairement, un élan de passion qui obscurcit la raison ; c’est au contraire l’état de l’âme le plus rationnel et le plus lumineux, partant le plus calme et le plus joyeux qui existe. Que chacun essaye de se dire sincèrement et du fond du cœur : « Cela m’est égal, je n’ai besoin de rien », qu’il s’efforce, ne fût-ce que pour un instant, de renoncer à tout désir individuel, et il verra par cette simple expérience intime avec quelle rapidité disparaîtra tout sentiment de malveillance, et si son renoncement a été sincère, il verra quel torrent de bienveillance