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DIALOGUES DES MORTS.

tout n’est ici que poussière[1], comme l’on dit, un amas de crânes sans beauté[2].

Pollux. Ce n’est pas difficile d’aller dire cela à tes gaillards beaux et solides.

[4] Diogène. Mais aux pauvres, dont le nombre est grand, et qui, mécontents de leur sort, déplorent leur indigence, dis-leur, Laconien, de ne plus pleurer, de ne plus gémir ; apprends-leur qu’ici règne l’égalité, qu’ils y verront les riches de la terre réduits à leur propre condition ; et, si tu veux bien, reproche de ma part à tes Lacédémoniens de s’être bien relâchés.

Pollux. Ne dis rien, Diogène, des Lacédémoniens : je ne le souffrirais pas ; mais ce que tu mandes aux autres, je le leur ferai savoir.

Diogène. Eh bien ! laissons en paix les Lacédémoniens, puisque tu le veux ; mais porte mes avis à ceux dont je t’ai parlé.

  1. Hemsterhuys propose ici une variante qui a été reçue dans le texte par quelques éditeurs. À ces mots πάντα μία ήμῖν κόνις « Tout n’est chez nous que poussière, » il demande à substituer la locution, selon lui proverbiale, de πάντα μία Μύκονος « Tout ici n’est qu’une Mycone, » leçon qu’il justifie par des citations empruntées à Plutarque, à Clément d’Alexandrie, à Thémistius, et par ce vers du poëte satirique Lucilius, que cite Donat, dans une remarque sur l’Hécyre de Térence : « Myconi calva omni’juventus. » En effet, dans la petite île de Mycone, une des Cyclades, la calvitie était générale, et Pline l’Ancien, Hist. nat., X, chap. xxxvii, en parle expressément. Lors donc que Lucien fait dire à Diogène que l’on ne trouve plus aux enfers qu’un amas de crânes sans beauté, il n’est point extraordinaire qu’il fasse allusion à la calvitie de ces têtes privées « de leurs chevelures blondes. » Nous ne pouvons disconvenir que cette explication, comme l’a dit un éditeur de Lucien, ne soit docte et ingénieuse ; mais n’est-elle pas quelque peu raffinée, et la leçon ordinaire est-elle si mauvaise qu’il faille absolument la modifier ? Lehmann n’adopte la variante d’Hemsterhuys qu’avec quelque hésitation : les éditions toutes récentes de Tauchnitz et de Teubner restent fidèles au texte πάντα μία ήμῖν κόνις nous le conservons également, en nous fondant sur ce vers de l’Anthologie, cité par Lehmann : πάντα γέλως, καί πάντα κόνις, καί πάντα τό μηοέν, « Tout est risée, tout est poussière, tout est néant ; » et sur ce vers d’Horace, Ode vii du livre IV) v. 16 : Pulvis et umbra sumus, « Nous ne sommes qu’ombre et poussière ! »
  2. Cf. avec Villon, Ballade des dames du temps jadis.