Page:Lucien - Œuvres complètes, trad. Talbot, tome I, 1866.djvu/175

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

mais qui me laissais aller à mon bon naturel : voilà en quoi je prétends valoir mieux qu’Alexandre. S’il paraît plus beau que moi, parce que sa tête était couronnée du diadème, peut-être sera-ce un titre aux yeux des Macédoniens ; mais ce n’est pas une raison pour être mis au-dessus d’un homme brave, d’un général habile, qui doit plus à son conseil qu’à la fortune.

Minos

Il a plaidé sa cause avec assez de noblesse et mieux qu’on ne pouvait l’attendre d’un Africain. Et toi, Alexandre, que vas-tu lui répondre ?

Alexandre

Je devrais, Minos, ne rien dire à un homme aussi audacieux. La renommée seule suffit à t’apprendre quel monarque je fus et quel brigand il était. Voici toutefois de combien je l’emporte sur lui. Parvenu, jeune encore, au pouvoir, je relevai un trône mal affermi, je poursuivis les meurtriers de mon père, j’effrayai les Grecs par la ruine de Thèbes, et fus proclamé généralissime de la Grèce. Alors je ne me contentai plus de la Macédoine, ni des autres Etats que mon père m’avait laissés. Je formai le projet de conquérir toute la terre, ne pouvant supporter de ne pas être le souverain de l’univers. Je m’élance sur l’Asie avec quelques soldats, je suis vainqueur dans un grand combat près du Granique ; je prends la Lydie, l’Ionie et la Phrygie ; bientôt, subjuguant tout ce qui est sous mes pas, je marche vers Issus, où Darius m’attendait à la tête d’une armée innombrable. Vous savez ici, Minos, que de morts je vous ai envoyés ce jour-là ; le batelier dit que sa barque ne pouvait leur suffire, et qu’il fut obligé de construire des radeaux pour en passer un grand nombre. Et dans tous ces exploits, je faisais le premier face au danger et m’honorais de mes blessures. Ensuite, pour ne parler ni de Tyr ni d’Arbèles, j’ai pénétré jusque chez les Indiens, en faisant de l’Océan les bornes de mon empire ; j’ai pris leurs éléphants, j’ai soumis Porus, j’ai défait les Scythes, guerriers qui ne sont pas méprisables, j’ai traversé le Tanaïs, et remporté la victoire dans un grand combat de cavalerie. J’ai fait du bien à mes amis, du mal à mes ennemis. Si j’ai paru un dieu aux hommes, il faut leur pardonner une erreur qu’explique la grandeur de mes exploits. Enfin je suis mort sur le trône, tandis que celui-ci, chassé de sa patrie, est mort chez Prusias le Bithynien, comme il convenait à un homme fourbe et cruel. Car, comment a-t-il triomphé des Italiens, je ne veux pas le dire : ce n’est pas par la valeur,