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VII
INTRODUCTION ET NOTICE.

une fluctuation et dans une mobilité continuelles. Comment alors exiger une doctrine solide et fixe du douteur et du railleur par excellence ? Il y aurait cependant quelque injustice à l’accuser d’un pyrrhonisme absolu. Son bon sens, qui lui fait découvrir le vice des différents systèmes, et signaler les écueils où vont tour à tour se briser l’Académie, le Lycée et le Portique, l’avertit, en même temps, qu’il y a certains principes incontestables, certaines vérités positives, sur lesquelles s’appuie toute critique, et même toute négation. Aussi, dans la spéculation, me semble-t-il se rapprocher de Platon et d’Épicure ; dans la pratique, de Diogène et de Zénon. Sa profession de foi sous ce rapport est nette et explicite. Si je ne m’abuse sur le sens d’un passage du traité intitulé Hermotimus, il me semble que Lucien, loin de se renfermer dans le scepticisme exclusif, qu’il est de tradition de lui reprocher, déclare avec une sincérité parfaite qu’il est sérieusement en quête de la vérité philosophique[1]. « Hermotimus. Tu prétends dnc, Lycinus, que nous ne devons pas philosopher, mais qu’il faut nous laisser aller à la paresse et vivre comme le vulgaire ? — Lycinus. Et quand m’as-tu entendu tenir un semblable langage ? Je ne prétends pas que nous devions renoncer à la philosophie. Voici ce que je dis : nous voulons philosopher ; il y a plusieurs routes ; chacune d’elles a la prétention de conduire à la philosophie et à la vertu ; la véritable est inconnue ; il faut, donc faire son choix avec prudence. » Et plus loin[2] : « Lycinus. La raison te dit qu’il ne suffit pas de voir et de parcourir nous-mêmes toutes les sectes, afin d’être à portée de choisir la meilleure, mais qu’il faut encore une chose essentielle. — Hermotimus. Laquelle ? — Lycinus. Une critique, mon cher, une méthode d’examen, un esprit pénétrant, un jugement juste et impartial, tels qu’il en faut pour prononcer sur de semblables matières ; autrement, c’est en vain que nous aurons tout vu. Il est donc nécessaire, ajoute la raison, d’employer à cet examen un temps considérable, de nous placer tout sous les yeux, et de ne faire notre choix qu’après avoir beaucoup hésité, balancé,

  1. Hermotimus, 52.
  2. Ib., 64.