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LES SECTES À L’ENCAN.

Le marchand. Où existent-elles alors ?

Socrate. Nulle part : car si elles existaient quelque part, elles n’existeraient pas.

Le marchand. Mais je ne vois pas ces modèles dont tu parles.

Socrate. Naturellement : tu es aveugle des yeux de l’âme ; mais moi, je vois les images de tous les êtres, je vois un autre toi invisible, un autre moi-même ; en un mot, je vois tout double.

Le marchand. Ma foi ! il faut que je t’achète ; tu es un sage, et tu as bonne vue. Voyons, crieur, que me demandes-tu pour celui-la ?

Mercure. Deux talents[1].

Le marchand. Marché conclu ! seulement je te payerai plus tard.

[19] Mercure. Quel est ton nom ?

Le marchand. Dion de Syracuse[2].

Mercure. Prends, et bonne chance ! Maintenant c’est au tour d’Épicure. Qui veut l’acheter ? C’est le disciple de ce rieur et de cet ivrogne que j’ai mis en criée tout à l’heure ; mais il a un avantage sur eux, il est plus impie : c’est d’ailleurs un délicat, un ami des bons morceaux.

Le marchand. Quel est le prix ?

Mercure. Deux mines[3].

Le marchand. Les voici ; mais dis-moi quels sont les mets qu’il préfère.

Mercure. Ceux qui sont doux et mielleux, particulièrement les figues.

Le marchand. Il ne sera pas difficile de lui en donner : je lui achèterai des paniers de figues grasses.

[20] Jupiter. Fais-en venir un autre ; l’homme a la peau rasée, ce renfrogné du Portique.

Mercure. Tu as raison : beaucoup de ceux qui sont venus à la vente semblent l’attendre. À vendre la vertu même, une vie parfaite ! Qui est-ce qui veut seul tout savoir ?

Le marchand. Que dis-tu ?

Mercure. Cet homme est le seul sage, le seul beau, le seul juste, le seul brave, le seul roi, le seul orateur, le seul riche, le seul législateur, et ainsi pour tout le reste[4].

Le marchand. Il est donc aussi, mon cher, le seul bon cui-

  1. 11 000 francs.
  2. Disciple et ami de Platon.
  3. Près de 200 francs.
  4. Voy. Horace, Ép. i du livre I, vers la fin.