Page:Lucien - Œuvres complètes, trad. Talbot, tome I, 1866.djvu/430

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de loin s’élever de la fumée. Nous ne doutons pas qu’il n’y ait là quelque habitation.

33. Nous avançons promptement, et nous rencontrons un vieillard et un jeune homme qui travaillaient avec ardeur à cultiver un jardin et à diriger l’eau de la source. Ravis et effrayés tout ensemble, nous nous arrêtons : ceux-ci, visiblement animés des mêmes sentiments que nous, n’osent dire un seul mot. Enfin le vieillard : « Qui êtes-vous, dit-il, étrangers ? des dieux marins, ou d’infortunés mortels, comme nous ? Nous sommes des hommes, jadis habitants de la terre, aujourd’hui vivant au milieu de la mer, forcés de nager avec le monstre qui nous renferme, incertains du sort que nous éprouvons : il nous semble, en effet, que nous sommes morts, et pourtant nous croyons vivre encore. — Et nous aussi, lui dis-je, ô mon père, nous sommes des hommes arrivés depuis peu dans cette contrée ; avant-hier nous fûmes avalés avec notre navire. En ce moment même, nous allions en reconnaissance dans cette forêt, qui nous a paru étendue et épaisse. C’est un dieu sans doute qui nous a conduits, pour vous y voir et pour apprendre que nous ne sommes pas les seuls enfermés dans le monstre. Mais racontez-nous vos aventures, qui vous êtes, et comment vous êtes descendus ici. — Vous le saurez, nous répond le vieillard, mais ce ne sera pas avant que vous ayez reçu de moi les présents de l’hospitalité que je puis vous offrir. » À ces mots, il nous prend la main et nous conduit à sa demeure, qu’il avait su rendre assez commode, et dans laquelle il avait disposé des lits avec d’autres objets nécessaires. Là, il nous sert des légumes, des fruits, des poissons, du vin ; et, nous voyant rassasiés, il nous demande le récit de nos aventures. Je lui raconte, sans en rien omettre, la tempête, notre arrivée à l’Île des Vignes, notre navigation aérienne, notre bataille, et le reste jusqu’à notre descente dans le poisson.

34. Frappé de surprise, il se met à son tour à nous raconter son histoire : « Étrangers, dit-il, je suis né à Cypre. Parti de ma patrie, avec mon fils, que vous voyez, et plusieurs serviteurs, je faisais voile vers l’Italie, emmenant avec moi sur un grand navire notre cargaison, dont vous avez sans doute vu les débris dans le gosier de la baleine. Jusqu’en vue de la Sicile, notre traversée fut heureuse. Mais assaillis alors d’un vent furieux, nous sommes emportés en trois jours dans l’Océan, où cette baleine nous rencontre, et nous avale, hommes et navire. Tous nos compagnons périssent ; seuls, nous échappons tous les deux au danger. Après avoir donné la sépulture à nos morts, nous élevons