Page:Lucien - Œuvres complètes, trad. Talbot, tome I, 1866.djvu/452

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45. Déjà l’on voyait paraître des poissons, des oiseaux qui voltigeaient, et tous les signes qui indiquent le voisinage de la terre, quand nous apercevons bientôt des hommes qui se livraient à un nouveau genre de navigation. Ils étaient à la fois navires et matelots. Je vais dire comment. Couchés sur le dos, ils tiennent droit leur phallus, qui est fort grand, et y attachent une voile ; puis, la bouline en main, ils prennent le vent et gagnent le large ; d’autres, assis sur des morceaux de liège, auxquels sont attelés deux dauphins, conduisant et dirigent au moyen de la bride ces animaux qui entraînent le liège avec eux. Ces navigateurs ne nous firent aucun mal et ne s’enfuirent point à notre approche ; ils nous abordèrent sans crainte, amicalement, et paraissaient très surpris de notre manière de naviguer, dont ils examinaient avec soin tous les détails.

46. Le soir, nous arrivons à une île peu considérable, toute peuplée de femmes, du moins paraissant telles, et parlant la langue grecque ; elles approchent de nous, nous tendent la main et nous embrassent ; elles étaient parées comme des courtisanes, toutes jeunes et jolies, vêtues de tuniques qui descendaient jusqu’aux talons. L’île s’appelle Cabaluse, et la ville Hydamardie. Chacune de ces femmes, ayant pris l’un de nous, le conduisit chez elle et lui donna l’hospitalité. Pour ma part, j’hésitai, ne pressentant rien de bon ; et un regard attentif me fit voir les ossements et les crânes d’un grand nombre d’hommes. J’allais crier, appeler à l’aide mes compagnons et courir aux armes, mais je préférai n’en rien faire. Seulement je saisis ma racine de mauve, et je la supplie de me dérober aux dangers dont je suis menacé. Un instant après, tandis que mon hôtesse s’occupait à me servir, je vois que ses jambes ne sont pas celles d’une femme, mais qu’elle a le pied d’un âne. Je tire mon épée, je saisis mon hôtesse, je la lie et lui fais tout avouer. Elle résiste, mais elle finit par me dire qu’elles sont des femmes marines, nommées Onoscèles, et qu’elles dévorent les étrangers qui abordent chez elles. « Nous les enivrons, ajoute-t-elle, nous les faisons coucher avec nous, et nous les égorgeons pendant leur sommeil ». À ces