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LES AMOURS.

pensaient en héros, ils respectaient la vertu qui nous raproche des dieux, obéissaient aux lois de la nature, et, s’unissant à des femmes d’un âge proportionné, ils devenaient pères d’enfants vertueux. Peu à peu la société tomba de cette hauteur dans le gouffre des voluptés, et se mit à creuser de nouvelles routes pour varier ses jouissances. Bientôt la luxure osa tout et viola la nature même. Le premier homme qui jeta sur son semblable un regard fait pour la femme, employa ou une violence tyrannique ou une persuasion indigne. Un seul sexe entra dans un seul lit ; deux infâmes amants osèrent se regarder sans rougir de leurs actes et de leurs complaisances, et semant, comme on dit, parmi des pierres stériles, ils échangèrent contre un léger plaisir une éternelle honte.

[21] « Quelques-uns poussèrent leur violence tyrannique jusqu’à oser mutiler la nature avec un fer sacrilège, et, privant des hommes de leur virilité, ils cherchèrent à reculer les bornes du plaisir. Mais si ces victimes infortunées demeurent plus longtemps dans l’enfance, c’est pour cesser d’être hommes et devenir des monstres ambigus d’une double nature, qui, sans conserver le sexe dans lequel ils sont nés, n’en ont pas davantage celui dans lequel ils sont passés. La fleur de leur jeunesse, après avoir duré quelques instants, se flétrit dans une vieillesse prématurée ; on les compte presque à la fois parmi les enfants et parmi les vieillards, et ils ne connaissent pas l’âge mûr. Ainsi la détestable luxure, qui enseigne à se souiller de tous les crimes, imagine mille infâmes voluptés et se plonge dans le vice odieux que la pudeur me défend de nommer, pour n’ignorer aucun genre de turpitude.

[22] « Si chacun restait fidèle aux lois que la Providence nous a prescrites, nous nous contenterions de la société des femmes, et notre vie pure serait exempte de toute infamie. Voyez les animaux, qui ne peuvent rien corrompre par une disposition vicieuse ; ils observent dans toute sa pureté la loi de la nature. Les lions ne brûlent point pour les lions ; mais, dans la saison de leurs amours, Vénus réveille en eux le désir de s’unir à leur femelle. Le taureau, conducteur des troupeaux, saillit la génisse : le bélier remplit toutes les brebis de la substance fécondante. Quoi donc encore ? Le sanglier ne poursuit-il pas la laie dans sa bauge ? Le loup ne court-il pas après la louve ? Pour tout dire en un mot, ni les oiseaux qui sillonnent les airs, ni les poissons destinés à nager dans les eaux, ni les quadrupèdes qui vivent sur la terre, ne recherchent la société du mâle ; pour eux les décrets de la Providence sont immuables. Et vous, dont on a tort