de leurs foyers, et seraient gouvernés par des lois et des institutions publiques. Peut-on trouver extraordinaire que des animaux, condamnés par leur nature même à ne recevoir de la Providence aucune des prérogatives que donne la raison, soient privés, entre autres jouissances, des plaisirs de l’amour masculin ? Les lions n’aiment pas les lions ; mais ils ne sont pas philosophes : les ours n’aiment pas les ours, mais ils ne connaissent pas les douceurs de l’amitié. Chez les hommes, au contraire, la raison, guidée par le savoir, choisissant ce qu’il y avait de plus beau, après de fréquentes expériences, a sanctionné, comme étant les plus solides, les amours philopédiques.
[37] « Cesse donc, Chariclès, de puiser tes exemples dans la vie dissolue des courtisanes ; ne viens plus, par des discours sans retenue, insulter à notre gravité, et ne confonds plus un simple enfant avec l’Amour céleste. Réfléchis, quoiqu’il soit un peu tard pour désapprendre à ton âge, réfléchis pourtant, si tu ne l’as point encore fait, qu’il existe deux Amours, divinités qui · ne suivent pas la même route, et qui ne soufflent point le même feu dans nos âmes. L’un, selon moi, ne s’occupe que de jeux puérils ; la raison ne peut tenir en bride aucune de ses pensées ; il règne avec violence sur les hommes insensés ; c’est de lui que viennent les désirs qui les entraînent vers les femmes ; il accompagne cette fougue éphémère qui les précipite avec emportement vers l’objet de leur passion. L’autre, Amour, plus ancien que les siècles d’Ogygès, offre à tous un aspect grave, un spectacle vénérable : dispensateur des sentiments honnêtes, son souffle pénètre doucement dans nos âmes ; et, quand ce dieu nous est propice, nous goûtons la volupté mêlée à la vertu. Car, comme le dit le poëte tragique[1], l’amour a deux souffles différents ; et, sous un même nom, il produit deux passions opposées. C’est ainsi que la Pudeur est une double divinité, tout à la fois utile et pernicieuse :
Une double pudeur sert ou perd les mortels[2],
Et ce combat sans fin se partage la terre :
L’une par ses bienfaits mérite des autels ;
L’autre, fléau des cœurs, ne vit que de leur guerre.