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ALCYON OU LA MÉTAMORPHOSE

lire ou écrire régulièrement quand on ne connaît pas les lettres, semblent chose plus impraticable à ceux qui sont étrangers à ces sortes d’art, que de changer des femmes en oiseaux, ou des oiseaux en femmes. La nature commence par jeter dans un rayon de miel un être sans pattes et sans ailes, puis elle lui donne des ailes, des pattes, teint et nuance son corps de mille couleurs variées et charmantes, et produit enfin une abeille, habile faiseuse de miel divin : d’œufs qui sont muets et inanimés, la nature façonne mille espèces d’animaux ailés, terrestres, ou aquatiques, employant, dit-on, plusieurs secrets, et l’influence mystérieuse de l’immense éther[1].

[8] Si donc la puissance des immortels est si grande, comment nous, mortels chétifs, incapables de sonder ces grands mystères et même de moindres secrets, embarrassés même pour voir ce qui se passe chaque jour devant nous, pourrions-nous rien dire de certain sur les Alcyons ou sur les Rossignols[2]. Aussi, ces fables célèbres que nos pères nous ont transmises, je les raconterai à mon tour à mes enfants, oiseau, chantre de regrets, en mémoire de tes doux accents : je redirai souvent ta piété, ta tendresse conjugale, à mes deux femmes Xanthippe et Myrto ; et le reste de ton histoire, et la récompense que tu as obtenue des dieux. Et toi, n’en feras-tu pas autant, Chéréphon ?

Chéréphon. C’est trop juste, Socrate, et ce que tu viens de dire contient une double leçon de tendresse pour les femmes et pour les maris.

Socrate. Disons adieu maintenant à Alcyon ; il est temps de retourner à la ville et de quitter Phalère.

Chéréphon. Volontiers, faisons ce que tu dis.

  1. Voyez l’Oiseau de M. Michelet : L’œuf.
  2. Allusion à la fable de Philomèle.