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LE MAL DES ARDENTS

elle l’admira ! Elle le prit dans ses bras, le serra de tous ses muscles en murmurant : « Mon amour, mon amour » et elle retomba sans force sur le lit. Il s’assit contre elle et tint son visage entre ses mains avec douceur ; il adora les yeux brillants qui ruisselaient de pleurs ; il devina son regret, sa colère, son désespoir et encore la peur qui la tenaillait. Un bruit de pas dans le couloir la dressa toute roide : « Partez, dit-elle en l’étreignant sauvagement ; c’est peut-être lui… Partez ! » Mais il ne l’écoutait pas ; il la dévêtait en gestes rapides et légers ; elle ne fut bientôt plus qu’une pauvre petite chose implorante, transie d’angoisse et de désir ; et enfin, parmi les supplications, les pleurs, les cris de remords et de plaisir, il connut cette chair délicieuse de tout temps prédestinée à son empire.

Il se rajusta sans hâte et la quitta muette et exangue ; il n’exultait point mais se sentait comblé d’une satisfaction parfaite ; il jouissait de cette espèce de sérénité qui accompagne le corps dispos et l’âme insoucieuse : « Évidemment nous nous convenons fort bien » se dit-il avec un sourire cynique. Il se rendit à la succursale de la maison Bordes où on l’attendait. Le directeur, ce Garial dont il avait, sans le connaître, emprunté la signature, était un ancien commissaire de la marine, sec, noir et peu loquace, qui chiquait. Il jaugea tout de suite Rabevel : « Net, ferme, méchant, avare : un aspirant qui sera vite Commandant. Il va tous les bouffer dans notre turne » et, vieux fonctionnaire, s’appliqua aussitôt à lui faire la cour.