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LE FINANCIER RABEVEL

— Si je le connais, cet infâme rat ! Je te raconterai tout cela quand tu seras plus grand ; pour le moment faisons-nous beau : il faut plaire à la Raphaelita.

— Farnésina.

— Raphaelita, Farnésina, ce que tu voudras. Allons, mon petit, il y a encore de beaux jours à vivre. Ramon contemplait les manifestations de cette gaieté subite avec étonnement. Mais Bernard ne se méprenait pas lui-même sur cette explosion de joie ; il en sentait les racines amères et sauvages au moment même où elles le perçaient au cœur ; c’était, subitement déchaînée à la première occasion, la manifestation de sa haine, le désir vivifiant de la vengeance contre ses ennemis ; toute la rage qui couvait depuis quelques jours et que son intelligence avait refoulée pour se garder libre arrivait en flux grondant ; tous les griefs dont la cuisante morsure le persécutait se formulaient simultanément et comme d’une seule voix ; on voulait la ruine de ses espérances, de son orgueil, de sa jeune force ; on l’obligeait à renoncer à ses projets d’avenir, à marcher malgré lui dans des voies qu’il n’avait pas tracées d’abord, à abandonner le grand amour de sa vie, à se lier pour la durée de l’existence avec une femme dont il savait bien qu’il la supporterait avec plus ou moins d’agrément mais sans jamais pouvoir l’aimer ; on le poussait à entreprendre des combinaisons téméraires à cheval sur le bien et le mal, à disposer de ses amis ; déjà il portait un premier coup à l’innocent Abraham et dans quelles condi-