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LE FINANCIER RABEVEL

ment ; il lui semblait qu’il allait enfin pouvoir se venger, rejeter le fardeau pesant que les conventions sociales et la nécessité de feindre lui imposaient pour vaincre. Le besoin physique de triompher par le corps, par l’exaltation de la force venait à lui du fond des âges, conseil obscur et tenace de l’instinct atavique, souvenir de la sylve primitive ; sa nature si foncièrement charnelle ne concevait pas de vengeance plus humiliante que celle qui consistait à bafouer son adversaire dans sa chair, dans son orgueil de mâle, das son orgueil d’homme, dans la puissance vaniteuse de son corps. Ah ! ce malheureux Mulot était jaloux comme un tigre ? Eh ! bien, il verrait ! Ce n’en serait que plus gai. Il se mit par la pensée à la place de ce Mulot et se supposa impuissant devant l’outrage, il trembla d’imaginer sa colère et l’enragement de son désespoir. Mais était-il bien prouvé que Mulot réagirait comme il aurait réagi lui-même ? Après tout, il ne le connaissait guère cet homme. Il se le figura de nouveau grand, fort, sanguin, d’une carrure semblable à la sienne, d’un visage altier de même mine que le sien à la pâleur près ; le type général était le même : « Tous les requins se ressemblent », se dit-il et il se mit à rire tout haut.

— Qu’est-ce qui te fait rire tout seul, égoïste, demanda Ramon qui marchait toujours à ses côtés le nez en l’air, sa curiosité jamais lassée du spectacle des boulevards.

— Le plaisir d’être avec toi, répondit-il. Nous arrivons ; si nous prenions une loge, hein ?