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LE MAL DES ARDENTS

ou quelque désir invincible, lui avait également permis de faire de Mme Orsat et de Reine des esclaves extasiées ; il s’était borné à les étudier, à établir peu à peu le type de leur idéal et à se donner la physionomie de ce type avec une habileté innée qui lui permettait de jouer la comédie sans fatigue ; c’était le mot et il se le répétait : je joue la comédie. Il n’était mené que par quelques sentiments tenaces, quelques aspirations irrésistibles, l’amour du lucre, l’ambition, la soif de s’établir à une place qui lui permît définitivement de dominer et de jouir. Pour y parvenir, le loup devenait agneau sans difficulté ; le camouflage, le mensonge lui étaient naturels.

Ainsi ce 30 Mars, parvenu à un des paliers de sa tâche, tandis qu’il se rendait à cette assemblée générale de la maison Bordes, il déroulait complaisamment pour lui-même le panorama des faits récents qu’il avait clandestinement provoqués ; il se dépouillait à ses propres yeux sans aucune honte et même avec un sentiment de confiance et d’orgueil. Une chose pourtant l’inquiétait encore et il lui semblait bien qu’elle dût l’inquiéter toujours. C’était son aventure avec Angèle. Plus il y voulait penser avec froideur, plus il sentait monter et gronder il ne savait quelle révolte, quelle désolation immense et désespérée ; le temps arrangerait-il tout cela ? Hélas ! de savoir que tressaillait dans la chair vive de sa maîtresse une autre chair fille de lui, déjà il éprouvait une foule de sentiments puissants et contradictoires : la joie d’avoir un enfant, la reconnaissance.