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LE FINANCIER RABEVEL

— Bah ! allons-y tout de même.

Quand ils furent assis, Bernard composa le menu avec une attention extrême, il était lui-même infiniment porté sur ce que Rabelais nomme les « harnois de gueule » et traitait, quand il le pouvait, son estomac et son palais en grand seigneur. Il remarquait d’ailleurs que ce genre de jouissance était fort apprécié dans les milieux où il était appelé à évoluer. Il choisit les vins et fut satisfait de recevoir les marques d’approbation d’un maître d’hôtel et d’un sommelier qui n’en étaient pas prodigues.

Il voulut connaître tout d’abord son invité et, d’un ton enjoué, mit la conversation sur la vie de Bordeaux, ses distractions, et ses plaisirs. Il comprit que Mazelier travaillait beaucoup mais vivait largement et ne se privait de rien ; il lui fit avouer au rôti qu’il n’avait point de maîtresse et changeait suivant sa fantaisie : « il y a deux danseuses actuellement à l’Alcazar, dit-il, deux bijoux… » Puis, insensiblement, ils passèrent aux choses sérieuses ; quand Bernard vit son compagnon assez détendu et assez alangui pour trouver que tout était beau et reconnaître en lui le confident de toujours, il attaqua résolument, bien que d’un ton badin, la question qui lui tenait au cœur :

— Je suppose, dit-il, que vous vous offrirez le Caneton Fin tous les jours lorsque vous serez le patron de la maison Bordes ?

— Le patron de la maison Bordes c’est Monsieur