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LE MAL DES ARDENTS

rien ; à présent seulement ils le connaissaient l’amour, ils la sentaient cette terrible nécessité, cette irréfrénable fringale qui rend deux êtres indispensables l’un à l’autre au moral et au physique ; leurs chairs avaient besoin l’une de l’autre ; ils étaient l’un à l’autre leur vie, leur complément ; et, c’était bien sûr, l’un sans l’autre, ils ne vivraient plus.

Le dix-sept janvier au matin, Bernard reçut un télégramme qu’il n’eut pas besoin d’ouvrir pour en connaître le contenu tant il en redoutait l’arrivée depuis quelques jours ; il le tendit à Angèle pour qu’elle le décachetât et il sut, en regardant ses yeux chavirés soudain dans les larmes, qu’il ne se trompait pas ; ils annoncèrent à Madame Boynet la maladie grave d’un de leurs proches, et firent en hâte leur bagage. Ce fut comme ils partaient que la veuve rappela Bernard, après les adieux et déjà dans la rue. Il comprit qu’un restant de méfiance avait veillé en elle jusqu’à cette heure et qu’il avait fallu son silence jusqu’à cette minute pour le tuer. Il se promit d’être prudent. D’ailleurs il avait déjà ruminé une combinaison nouvelle.

— Je pense tout à coup, lui dit Madame Boynet, à ce que vous m’avez dit pour l’affaire Bordes. Je vous donnerai bien mon pouvoir pour les assemblées générales vous n’aurez qu’à me prévenir.

— Eh ! dit Bernard en souriant, que voulez-vous que j’en fasse ?

— Mais j’ai cent-soixante-dix actions, vous savez, répondit-elle assez interloquée.