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LE FINANCIER RABEVEL

La sérénité, qui est un des biens suprêmes, lui avait, par la faute de cette femme, pour toujours échappé. Il sentit une fureur monter brusquement en lui : pourquoi venait-elle le braver chez lui ? Quels sentiments l’animaient ? D’un doigt tremblant il roula sa carte avec fébrilité. Était-il donc un être souffrant et diminué qui consentît, par faiblesse, à se donner en spectacle ? Sur un fauteuil, dans l’antichambre, elle devait attendre, curieuse de le voir… Il dit au valet : « Je vous rappellerai, faites patienter. »

Ils n’étaient plus séparés que par une cloison légère. Il lui semblait maintenant que depuis son départ jusqu’à cet instant précis, seuls, cet être personnel et profond qui était lui-même et dont il avait conscience, ce Bernard véritable, et ce sentiment d’amour, le fils de lui-même, souffrant mutilé et chéri, lui avaient été présents. Elle, Angèle, elle n’était qu’une entité, une sorte de symbole qui représentait une réalité détestable, mais, en somme, quelque chose d’extérieur et d’inaccessible.

Or, voici que dans une dure, brutale secousse, presque physique, l’orientation d’autrefois se rétablissait ; les sentiers secrets du cœur par quoi communiquaient autrefois les deux amants lui apparaissaient, non pas recréés, mais retrouvés. Il sentait, par lui-même, derrière cette porte, vivre et palpiter une matière animée qui participait de son propre destin. Quel amour, quelle haine complexes roulaient dans le torrent de sa vie intérieure ! Il comprenait bien qu’il allait la revoir et lui offrir, même en silence, tout