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LE MAL DES ARDENTS

il ne put retrouver le calme en ses endroits préférés. La cour du Petit Palais était vide, les quais hostiles et les jardins muets. Les églises si accueillantes pour son enfance le vomissaient. Et, tentant de fléchir le dieu, le persécuteur inconnu, il eût voulu suspendre sa douleur comme un ex-voto à la porte des cimetières… Vainement : le soir tombait et la nuit proche lui faisait peur.

Peur mystérieuse qui lui revenait, expliquée et terrible, à quelques heures de là, chez Abraham. Les mots sont si menus, si petits — et les cris le déchiraient sans le soulager. Comme il aurait voulu pleurer ! Ah ! se tordre, les yeux secs et le cœur malade, là, par terre, près d’un lit ! Abraham l’avait relevé dix fois, mais il retombait toujours. À cette minute où ces terribles choses pesaient sur lui et le pliaient en deux, mais sourdement, il cherchait à tâtons, dans la mare qui l’engloutissait, pourquoi il n’était pas mort. Il n’avait pas pu rester seul et était allé demander la consolation à Abraham. À peine avait-il touché le bouton que la porte s’était ouverte. Son ami l’attendait dans le couloir. Il lui dit à voix basse :

— Te voilà enfin !

— Tu comptais donc me voir ?

Ils s’étaient regardés tous deux fixement, Bernard vit alors seulement combien Abraham était pâle, les vêtements en désordre et les yeux cernés.

— Ah ! dit-il, mon télégramme ne t’est pas parvenu ? Tu viens par hasard ?