Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/225

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bien on les tient enfermés dans l'étable près d'une ample pâture. Car la vue d'une génisse use leurs forces, et ils se consument d'amour ; ils en oublient et les bois et les herbages. Souvent même celle-ci par ses doux attraits force ses amants superbes à combattre pour elle à coups de cornes ; et tandis qu'elle paît, belle et tranquille dans la vaste forêt de Sila, (3, 220) ceux-ci, se provoquant l'un l'autre, engagent un furieux combat, et se font mille blessures : un sang noir coule le long de leurs flancs. Ils poussent l'un contre l'autre leurs fronts, qui s'entre-choquent avec un vaste gémissement ; le ciel en retentit, et les bois d'alentour. Entre eux point de traité, pas d'étable commune : le vaincu s'en va, et de lui-même s'exile dans de lointaines contrées, pleurant son ignominie, tout meurtri des coups d'un vainqueur insolent. Regrettant ses amours qu'il a perdus sans vengeance, il regarde une dernière fois son étable, et abandonne l'empire où régnaient ses aïeux. Mais c'est pour mieux exercer ses forces recueillies : (3, 230) la nuit donc il se couche sur l'âpre pente des rochers, et le jour il se nourrit de feuillage épineux, et de joncs aux rudes piquants. Il s'essaye, s'apprend à donner de la corne en furieux, heurtant le tronc des arbres, perçant l'air où se perdent ses coups ; il prélude au combat en dispersant sous ses pieds la poussière. Quand il a ramassé son courage et refait ses forces, il entre en campagne, et se précipite sur son ennemi qui l'avait oublié. Ainsi l'on voit venir du milieu de la mer une vague blanchissante, qui de loin se traîne en allongeant son vaste pli : elle se roule vers le rivage, éclate avec fracas au milieu des rochers, et, non (3, 240) moindre qu'une montagne, retombe d'aussi haut : la mer en bouillonne jusque dans ses profonds abîmes ; un sable noir est rejeté à la surface des eaux.

Tous les êtres donc dans la nature, les hommes, les bêtes féroces, les troupeaux, les poissons au fond des mers, les oiseaux aux ailes peintes, ressentent les feux de l'amour et s'abandonnent à ses fureurs : l'amour est le même pour tous. En aucun temps la lionne, oubliant ses lionceaux, n'a erré plus terrible dans les déserts : jamais les ours hideux ne sèment autant le ravage et la mort dans les forêts ; jamais le sanglier n'est plus féroce, le tigre plus sanguinaire. Malheur à ceux qui errent alors dans les déserts de la Libye ! (3, 250) Ne vois-tu pas comme les chevaux frissonnent de tous leurs membres, si l'air seulement leur apporte des odeurs bien connues ? Dès lors plus rien qui les arrête, ni le frein, ni le fouet sanglant, ni les rochers, ni les précipices, ni les fleuves, ni les torrents qui entraînent les débris arrachés des montagnes. Le sanglier de la Sabine fond devant lui, aiguise ses défenses, laboure la terre avec ses pattes, se frotte contre les arbres, et deçà delà endurcit aux coups ses épaules. Mais que n'ose pas un jeune homme, quand le cruel amour lui souffle dans les os ses feux cuisants ? seul, par une nuit obscure, il traverse à la nage un bras de mer que bouleverse la tempête : au-dessus de sa tête (3, 261) le ciel tonne, immense et plein d'orages ; les flots se brisent avec fracas contre les rochers retentissants : l'insensé n'entend plus ni ses parents éperdus qui le rappellent, ni la jeune fille qui va mourir s'il meurt !