Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/233

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

soit qu’elle coule et s’enfuie, jette en travers des branches de saule et de grosses pierres ; tu formeras ainsi mille et mille ponts où tes abeilles viendront s’abattre, et déployer au soleil d’été leurs ailes humides, lorsque le violent Eurus les aura surprises et dispersées, ou précipitées dans les flots. (4, 30) Qu’aux alentours fleurissent la verte lavande, le serpolet qui répand au loin son odeur, la sariette, et ses bouquets aux fortes émanations ; et que partout les violettes boivent l’eau courante des fontaines. Que tes ruches, formées de l’écorce creuse des arbres ou des souples baguettes de l’osier tissé, n’aient que d’étroites entrées ; car dans l’hiver le grand froid durcit le miel, et dans l’été la chaleur le fond et le dissout. Les deux extrêmes sont également à craindre pour les abeilles ; et ce n’est pas en vain qu’elles s’empressent de boucher avec de la cire les petites fentes de leur maison, et de les remplir des sucs pétris des fleurs. (4, 40) C’est aussi pour cela qu’elles se composent et tiennent en réserve une certaine glu, plus visqueuse et plus tenace que la résine même du mont Ida. Souvent même, dit-on, elles se creusent sous terre des demeures ténébreuses ; et on trouve des essaims dans les creux des roches tendres, et dans les troncs caverneux d’arbres rongés de vétusté. Cependant prends la peine d’enduire de terre grasse leurs ruches lézardées, et de jeter par-dessus quelque peu de feuillage. Prends garde aussi que l’if impur ne croisse près de là ; n’y fais pas non plus rougir l’écrevisse sur le feu ; éloigne ton essaim des marais fangeux, et des lieux qui exhalent une forte odeur de limon, ou encore (4, 50) de ces roches retentissantes, où l’écho répond à la voix qui le frappe.

Mais lorsque le Soleil aux rayons dorés chassant l’hiver des cieux, l’a précipité sous la terre, et que la lumière de l’été fait s’épanouir la nature, aussitôt tes abeilles prennent l’essor : elles se répandent dans les bois et sur les arbrisseaux ; elles vont butiner sur les fleurs, et, légères comme l’air, elles rasent la surface des eaux. C’est de là que, réjouies par je ne sais quelle douceur de liberté, elles reviennent plus empressées à leurs cellules et à leur tendre famille : c’est de là que rapportant des sucs nouveaux, elles en composent la cire et pétrissent les gâteaux liquides de leur miel. L’été, quand tu verras un essaim échappé de ses ruches s’élever comme en nageant dans le subtil azur des cieux, (4, 60) et, pareil à une nuée obscure, se ramasser sous le vent qui l’emporte, suis-le d’un œil attentif ; il va chercher des eaux pures et des couverts touffus : alors répands-y les odeurs qu’aiment les abeilles, la mélisse broyée, et l’herbe commune de la cérintbe : fais-y retentir aussi l’airain, et frappe sur les cymbales de Cybèle : l’essaim viendra lui-même s’arrêter dans ces retraites parfumées ; lui-même, rappelé par l’instinct, il reviendra se cacher dans le fond des ruches.

Mais si tes abeilles en sortent pour se livrer des combats, (car souvent de furieuses discordes éclatent entre deux rois de la même ruche) (4, 69) tu peux déjà pressentir les mouvements menaçants des peuples et l’agitation guerrière des esprits : entends-tu comme un bruit martial de