Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/290

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les graves conseils d’Hélénus, nous brûlons en l’honneur de Junon Argienne l’encens des sacrifices.

« Ces saints devoirs accomplis, nos voiles tournent soudain sur les longs bras des antennes ; (3, 550) nous quittons ce rivage suspect, habité par des Grecs. De là nous voyons le golfe, et les murs de Tarente, bâtie, dit-on, par Hercule. Sur l’autre bord s’élève le temple de Junon Lacinienne ; plus loin les hauts remparts de Colon, et Sylacée sur ses rochers fameux par les naufrages. Alors nous voyons de loin sortir des flots les cimes de l’Etna ; nous entendons l’immense gémissement de la mer, le bruit lointain des rochers battus par les vagues, la voix des flots qui se brisent contre les rivages : nous voyons bondir le fond des mers, et le sable bouillonner avec les ondes. Alors Anchise : "La voilà sans doute cette Charybde ; voilà ces écueils, ces horribles rochers qu’Hélénus nous annonçait par ses oracles. (3, 560) Dégagez-nous, amis, et tous ensemble courbez-vous sur vos rames." Tous ont obéi, et Palinure le premier a tourné vers la gauche la proue gémissante : toute la flotte gouverne à gauche, rames et voilure au vent. Mais voilà qu’une vague courbée en montagne nous enlève jusqu’aux nues ; et, l’onde s’abaissant, nous descendons dans les gouffres des mânes. Trois fois les rochers poussèrent un effroyable cri sous leurs cavités profondes ; trois fois nous vîmes les flots lancer dans les airs leur écume brisée, et la rosée amère dégoutter des astres. Cependant les vents et le soleil abandonnent nos voiles fatiguées, et, ne sachant plus quelle route tenir, les courants nous portent sur les côtes des Cyclopes.

(3, 570) « Là s’ouvre à l’abri des vents un vaste port ; l’eau y dort immobile ; mais près de là tonne l’Etna au milieu de ses ruines épouvantables. Tantôt il pousse dans les airs un nuage noir, mêlé d’épais tourbillons de fumée et de cendres blanches, et il élève des bouffées de flammes qui vont toucher la voûte étoilée ; tantôt il vomit en grondant des rochers énormes, ses entrailles arrachées, rejette à flots pressés et lance au ciel avec un sourd gémissement des pierres liquéfiées, et, partout débordant, bouillonne dans ses profonds abîmes. On dit que sur le corps d’Encelade à demi consumé par la foudre pèse à jamais la masse entière de la montagne ; l’Etna la surcharge encore de son poids immense, (3, 580) l’Etna qui souffle la flamme de ses fournaises rompues : chaque fois que le géant se retourne sur ses flancs fatigués, toute la Trinacrie tremble et murmure, et les cieux se voilent d’une épaisse fumée. Durant toute cette nuit, cachés dans les forêts, nous ressentîmes ces mouvements prodigieux : nous ignorions la cause de si grands bruits. Pas un astre ne luisait dans le ciel, pas un faible rayon ne venait de la voûte étherée ; ce n’étaient que nuages sombres ; une nuit sinistre enveloppait la lune de sa ténébreuse atmosphère.

« Cependant le jour commençait à poindre à l’orient, et l’Aurore avait dissipé l’ombre humide des cieux, (3, 590) quand tout à coup du fond des bois un inconnu d’une figure étrange, le corps décharné, l’air pitoyable, s’avance vers nous, et tend vers le rivage des mains suppliantes : une barbe épaisse descend sur sa poitrine ; de sales et hideux lambeaux, que rattachent quelques épines, le couvrent à peine ; le reste annonce un