Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/337

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ainsi : (6, 500) « Valeureux Déiphobe, noble rejeton du sang de Teucer, qui donc a pu se venger si cruellement ? quel est le barbare qui a tant abusé de toi ? Hélas ! on m'avait dit que, dans la nuit qui fut la dernière d'Ilion, tu étais tombé, sanglant et fatigué de carnage, sur un amas confus de Grecs immolés. Alors j'élevai moi-même sur le rivage de Rhétie un vain tombeau à tes mânes, et trois fois je les appelai à haute voix : tes armes et ton nom, gravés sur le monument, le consacrent à jamais. Cher ami, je n'ai pu ni te voir en m'éloignant d'Ilion, ni déposer tes os dans la terre de la patrie. » Alors Déiphobe : « Ami, c'est assez, et je n'attends plus rien de toi ; (6, 510) tu as tout fait pour honorer Déiphobe et son ombre. C'est ma cruelle destinée, c'est la funeste trahison de la Lacédémonienne qui m'a plongé dans cet abîme de maux : voilà les monuments de sa tendresse. Tu sais (et comment l'oublier ?) dans quelle fausse joie s'est passée pour nous la nuit dernière de Troie, alors que le fatal cheval escalada les hautes murailles de Pergame, gros des soldats qu'il vomit tout armés de ses flancs. Hélène, feignant une bachique allégresse, menait le chœur des femmes phrygiennes et la pompe des orgies. Elle-même, agitant au milieu de ses compagnes une torche immense, appelait les Grecs du haut de la citadelle d'Ilion. (6, 520) Accablé de soucis, appesanti par le sommeil, je reposais sur ma couche infortunée, et je dormais enseveli dans un repos doux et profond, déjà semblable au repos de la mort. Cependant ma noble épouse fait enlever toutes les armes de ma maison, et dérobe elle-même à mon chevet ma fidèle épée : elle appelle Ménélas dans l'intérieur de ma demeure et lui en ouvre les portes, espérant sans doute que cette lâcheté cruelle sera d'un grand prix aux yeux de son premier époux, et qu'elle éteindra ainsi la triste renommée de ses anciennes infamies. Que vous dirai-je ?... Ils fondent sur ma couche : Ulysse les accompagne, Ulysse, l'âme de tous les crimes. Grands dieux, rendez aux Grecs (6, 530) le supplice que j'ai souffert, si c'est d'une bouche pieuse que je vous demande vengeance ! Mais toi, parle à ton tour : quel malheur t'a fait descendre vivant chez les morts ? Viens-tu poussé par la tourmente des mers ou par un ordre des dieux ? Quelle fortune enfin fatigue ta vie, pour que tu pénètrès dans ces demeures tristes et sans soleil, dans ces lieux de trouble et d'horreur ? » Pendant qu'ils s'entretenaient ainsi, l'Aurore au teint de rose avait déjà franchi avec ses coursiers la moitié de la céleste carrière ; et peut-être que tout le temps accordé à Énée se serait consumé en pareils discours. Mais la Sibylle interrompit l'entretien, et dit ce peu de paroles au héros : « La nuit se précipite, Énée ; et, tandis que nous pleurons, les heures s'écoulent. (6, 540) C'est ici que la route des enfers se partage en deux chemins : celui de la droite conduit au palais du redoutable Pluton et aux champs Élysées ; l'autre mène au Tartare, séjour des impies, où s'exerce à les châtier la justice des dieux. » Alors Déiphobe : « Grande prêtresse, ne soyez point irritée, je me retire ; je vais me confondre dans la foule des ombres, et me replonger dans les ténèbres. Allez, prince,