Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/374

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champs tyrrhéniens : on choisit pour Énée un coursier superbe, que couvre tout entier une peau de lion avec ses ongles resplendissants d’or.

Bientôt le bruit vole et se répand, dans la petite ville de Pallantée, que les cavaliers arcadiens se portent d’une course rapide vers les murs Toscans. Déjà les mères alarmées redoublent leurs prières ; plus près du péril, elles tremblent davantage, et plus grande leur apparaît l’image de Mars. Alors Évandre, près de quitter son fils, baise affectueusement sa main, le serre dans ses bras, n’a point assez de larmes, et lui parle ainsi : (8, 560) « Ô si Jupiter me rendait mes ans écoulés, si j’étais encore à cet âge où, sous les murs de Préneste, je renversai les premiers rangs ennemis, et vainqueur embrasai des monceaux de boucliers ! Ce bras précipita dans le Tartare le roi Hérilus, à qui la nymphe Féronia, sa mère, horrible prodige ! avait donné en naissant trois âmes, trois armures à mouvoir. Il fallait l’abattre trois fois sous les coups de la mort ; cette main pourtant lui arracha sa triple vie, le dépouilla de sa triple armure. Non, mon fils, non, si j’étais encore à cet âge, je ne me séparerais jamais de tes doux embrassements ; et l’affreux Mézence n’aurait pas, (8, 570) insultant à cette tête branlante, rougi si près de moi son épée de tant de sang, dépeuplé de tant de citoyens sa ville désolée. Ô dieux, et toi surtout leur maître tout-puissant, ô Jupiter, ayez pitié du roi des Arcadiens, écoutez les prières d’un père ! Si votre volonté, si les destins me conservent Pallas, si je vis assez pour le revoir et l’embrasser encore, je vous demande de prolonger ma vie ; je suis prêt à endurer tous les tourments. Mais si tu me prépares, ô Fortune, quelque coup terrible, dieux, qu’à présent il vous plaise de rompre la trame de mes jours misérables ; (8, 580) tandis que je ne fais encore que craindre, et que l’incertain avenir suspend mes espérances ; tandis que je te tiens encore entre mes bras mon cher enfant, ma seule et tardive douceur ; avant qu’une affreuse nouvelle ne vienne déchirer mes oreilles ! » Ainsi le vieillard se répandait en adieux suprêmes ; ses serviteurs l’emportent évanoui dans sa demeure.

Cependant la cavalerie arcadienne et troyenne était sortie des portes de la ville. Énée marchait à la tête, accompagné du fidèle Achate et suivi des autres chefs troyens. Pallas, au centre de l’escadron, se distingue par sa brillante chlamyde et par la splendeur variée de ses armes. Tel, encore tout baigné des eaux de l’Océan, Lucifer, (8, 590) que Vénus aime entre tous les feux du ciel, montre sa tête sacrée, et dissipe les ténèbres. Les mères tremblantes, debout sur les remparts, suivent des regards le nuage poudreux et les escadrons étincelants d’airain. La troupe s’avance à travers les buissons, par les chemins les plus courts ; un cri part, et les pieds des chevaux tombant et retombant ensemble battent la plaine poudreuse de leur corne sonnante. Près du fleuve qui baigne de ses fraîches ondes les murs de Céré, est un vaste bois consacré au loin par une antique tradition religieuse : de tous côtés des collines, de creux vallons et de noirs sapins l’environnent. (8, 600) On dit que les anciens Pélasges le