Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/435

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temps il fait porter par des envoyés fidèles sa réponse au roi Latinus, avec les conditions du traité.

Le lendemain, à peine le jour naissant semait ses feux sur la cime des monts, à l’heure où les coursiers du Soleil s’élancent du gouffre des mers, et, les naseaux levés, soufflent la lumière, que les Troyens et les Rutules marquèrent, sous les hauts remparts de Laurente, le lieu où devaient combattre les deux rivaux. Au milieu du champ ils dressent des autels de gazon et des foyers, en l’honneur de leurs divinités communes ; d’autres, la tête voilée de lin, et le front ceint de verveine, portent le feu et l’eau du sacrilice. (12, 121) Alors s’avance hors de la ville l’armée ausonienne, et, des portes où ils affluent, ses bataillons hérissés de lances se répandent dans la plaine : les Troyens et les Étrusques, sous leurs drapeaux divers, se précipitent hors de leur camp ; le fer en main ils sont rangés, comme si Mars les appelait à une sanglante bataille. Au milieu des rangs pressés voltigent sur leurs coursiers les chefs des deux armées, éclatants d’or et de pourpre : c’est Mnesthée du sang d’Assaracus, c’est le brave Asylas, c’est Messape, le fils de Neptune, le dompteur de coursiers. Le signal est donné ; tous se retirent dans l’espace qui leur est marqué, (12, 130) plantent leurs javelines en terre, et baissent leurs boucliers. Alors, dans leur immense empressement, les femmes, les faibles vieillards, et la foule sans armes, se répandent çà et là, couvrent les tours et les toits des maisons, ou montent sur les hautes portes de la ville.

Cependant Junon, du haut du mont Albain, en ce temps-là sans nom, sans lustre et sans gloire, contemplait la plaine, les armées latine et troyenne, et la ville de Laurente. Alors elle tient ce langage à la nymphe Juturne, sœur de Turnus ; déesse, elle s’adresse à une déesse : Juturne présidait aux lacs et aux fleuves retentissants ; (12, 140) le roi tout-puissant des cieux, Jupiter lui avait accordé cet empire sacré, pour prix de sa pudeur qu’il lui avait ravie. « Nymphe, l’ornement des fleuves, lui dit Junon, vous si chère à mon cœur, vous savez que de toutes les vierges latines qui sont entrées dans la couche infidèle du grand Jupiter, vous êtes la seule qu’ait distinguée ma bonté, la seule à qui j’ai bien voulu donner place dans les célestes demeures. Apprenez donc, ô Juturne, le malheur qui vous menace, et ne l’imputez pas à Junon. Partout où la fortune a paru le souffrir, et autant que les Parques ont permis que tout cédât au Latium, j’ai protégé Turnus et vos murailles. Mais je vois aujourd’hui le jeune guerrier courir à une lutte inégale ; (12, 150) je vois approcher pour lui le jour des Parques et la force ennemie des destins. Je ne puis être présente ni à ce dernier combat, ni au traité qui sera conclu. Vous, si vous pouvez tenter quelque grand coup pour votre frère, osez-le, c’est votre devoir. Peut-être que des chances meilleures viendront aux malheureux. » Elle dit ; Juturne ne répond qu’en versant des torrents de larmes, et en frappant trois et quatre fois son beau sein. Alors la fille de Saturne : « Ce n’est pas le moment de répandre des larmes ; hâtez-vous, et, s’il se peut, arrachez votre