Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/479

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à celui qui le cultive le bonheur sous mille formes.



MORETUM.

(1) Déjà la nuit d’hiver avait achevé sa dixième heure, et l’oiseau qui, sentinelle vigilante, annonce la lumière, avait chanté, quand Simulus, rustique cultivateur d’un petit champ, redoutant pour le jour qui va luire un triste jeûne, soulève peu à peu ses membres étendus sur un vil grabat, et d’une main inquiète interroge à tâtons les ténèbres silencieuses : il cherche son âtre ; à sa main qui s’y blesse, il le sent enfin. Là fumaient encore les restes d’un petit tison consumé, et la cendre couvrait l’étincelle cachée de la braise. (10) Simulus, le front penché, abaisse sur le foyer sa lampe, en tire du bout de l’aiguille l’étoupe desséchée, et d’un souffle haletant réveille dans l’âtre la flamme assoupie. Enfin elle brille, et l’ombre se retire. Le villageois abrite d’une main la lumière contre l’air, et ouvre, en la faisant tourner sous sa clef, la porte de son grenier, qu’il tenait prudemment fermée.

Sur la terre était répandu un humble amas de grains ; il en prend sa mesure ; un vase la reçoit, qui peut soutenir le poids de huit livres de blé. (19) De là il va vers la meule voisine ; il s’arrête, et place sa lampe fidèle sur un petit chevron de tout temps fixé dans le mur pour cet usage. Alors il dépouille ses deux bras du vêtement qui les couvre, et, ceint d’une peau de chèvre aux longs poils, il balaye avec une touffe de crins les cavités raboteuses de la double meule. Bientôt ses deux mains se partagent inégalement le travail : la gauche ne fait qu’épandre le blé ; et la droite, tout entière au même mouvement, tourne en cercles incessants l’orbe emporté. Le grain, écrasé sous les coups rapides de la pierre, s’échappe en flots poudreux. De temps en temps la main gauche relève sa sœur fatiguée, et alterne avec elle. Cependant Simulus entonne un chant rustique, (30) et soulage son labeur de sa voix agreste. Parfois il appelle Cybale ; c’était la seule gardienne de son logis : Africaine par sa naissance, tout en elle annonçait sa patrie, ses cheveux crépus, ses lèvres épaisses, son teint noir, sa large poitrine, ses mamelles abandonnées, son ventre creux, ses jambes grêles, ses pieds démesurément plats, et sillonnés de fentes sur leurs talons roidis. Simulus l’appelle, lui ordonne d’entasser du bois sec sur le foyer, et de faire tiédir à la flamme l’onde glacée.

La meule enfin achève, au moment marqué, son cours circulaire. (40) Simulus rassemblant la farine épandue, la verse dans le crible, et l’y secoue ; au-dessus restent les débris impurs du grain, et par les trous qui la laissent tomber s’écoule la farine nette et épurée. Soudain il l’étale sur un air poli, et y jette une onde tiède : alors il ramasse la farine et l’eau confondues, pétrit le mélange qui s’épaissit sous ses doigts, et en parsème de sel la surface plus solide. La pâte est domptée ; il la façonne à son gré, l’élargit en orbe sous ses mains, et marque par carrés égaux les