Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/482

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Des dix églogues de Virgile, celle-ci, sans aucun doute, a été la première dans l’ordre de la composition. Lui-même nous l’apprend dans l’églogue de Daphnis, où, se désignant sous le nom de Ménalque, il dit :

Hic (cicuta) nos « Formosum Corydon ardebat Alexyn ; »
Hæc eadem docuit : « Cujum pecus ? an Melibœi ? »

On sait que les triumvirs, devenus les maîtres de la république, par leur concordat de l’année 711, avaient promis, pour s’attacher leurs soldats, de leur distribuer une partie des propriétés territoriales de l’Italie et de la Gaule cisalpine, après la guerre qu’ils allaient livrer au parti républicain en Macédoine.

La Gaule cisalpine s’étant trouvée comprise dans la part échue à Marc-Antoine, il confia le commandement de cette province à Pollion, son lieutenant ; ce fut un bonheur pour Virgile. Il trouva dans Pollion, qui était lui-même poëte, l’appui dont il avait besoin pour tâcher de soustraire son petit domaine patrimonial aux spoliations dont tous les propriétaires de cette province se voyaient menacés.

Ce fut donc en cette même année 711 que Virgile se présenta à Pollion, et c’est à l’églogue de Corydon, où son talent se révélait déjà, qu’il dut l’appui et l’amitié de ce guerrier. La composition de cette églogue était probablement récente, ou du moins de très-peu de temps antérieure à cette année.


Églogue III. (II d’après M. Désaugiers.)

Cette églogue, citée après celle de Corydon dans l’églogue de Daphnis, a été la seconde, et doit être de l’année 711, puisqu’elle a précédé immédiatement celle de Daphnis, qui est, comme on le verra, du commencement de l’année 712. Dans celle-ci, Virgile a pris soin de nous apprendre le succès que sa première églogue avait obtenu auprès de Pollion, et de constater l’amitié qui s’était établie entre eux. Le guerrier poëte lui avait même lu de ses ouvrages :

Pollio amat nostram, quamvis est rustica, musam.
Pollio et ipse facit nova carmina.
Qui te, Pollio, amat, veniat quo te quoque gaudet.

v. 40. In medio duo signa, Conon : et quis fuit alter ? Conon de Samos, ami d’Archimède, était mathématicien et astronome. C’est lui qui, pour flatter Ptolémée Philadelphe, plaça la chevelure de Bérénice, fille de ce prince, au nombre des constellations.

Il y a de l’incertitude sur l’autre savant dont Ménalque a oublié le nom. Virgile n’a pu avoir en vue qu’un homme célèbre. Les commentateurs ont porté leurs conjectures sur Hésiode, Anaximandre, Archimède, Eudoxe, Aratus. Heyne penche pour ce dernier, dont le poëme des Phénomènes, quoique principalement astronomique, est en quelques points applicable à l’agriculture. Son ouvrage nous est parvenu, ainsi que la presque totalité de la traduction en vers que Cicéron en a faite.

v. 60. Ab Jove principium, Musæ. C’est le début de la dix-septième idylle de Théocrite ; mais c’est aussi celui du poëme des Phénomènes d’Aratus, où se trouve de plus la haute pensée que Jupiter remplit le monde, ce qui est le complément du vers de Virgile : Jovis omnia plena. Ce serait donc Aratus et son poëme qu’il aurait eu probablement en vue dans les vers 41 et 42.

v. 77. Cum faciam vitula pro frugibus, ipse venito. Il s’agit ici de la fête des champs nommée Ambarvalia. On y promenait solennellement une victime, par le sang de laquelle on demandait à Cérès la fertilité des campagnes. Ces sacrifices étaient publics ou particuliers. Virgile, par l’expression facere vitula, au lieu de sacrificare, a conservé les termes consacrés pour cette fête. On lit dans Festus : Ambarvalis hostia est quæ, rei divinæ causa, circum arva ducitur ab iis, qui pro frugibus faciunt.

Nos Rogations sont un reste des anciennes Ambarvales.

v. 90. Qui Bavium non odit, amet tua carmina, Mævi. On ne saurait voir dans Mævius et Bavius des ennemis de Virgile, comme le suppose l’abbé Desfontaines, puisqu’il n’avait point encore quitté ses champs et ne s’était point fait connaître. Il est plus probable que les plaisanteries de Pollion sur ces deux mauvais poëtes donnèrent à Virgile l’idée de cette épigramme. Mævius est, comme on sait, fort maltraité dans une des épodes d’Horace. Quant à Bavius, il n’est, je crois, connu que par ce vers.

v. 104. Dic quibus in terris. On connaît le sens donné à cette énigme et à la suivante : le mot de la première est un puits ; celui de la seconde est, à ce qu’on croit, la fleur de jacinthe, sur laquelle on a cru reconnaître les deux premières lettres du nom d’Ajax. Virgile s’est conformé ici au goût puéril des anciens pour les énigmes.


Églogue IV. (VII d’après M. Désaugiers.)

Pollion, qui avait été désigné consul pour l’année 714, entre en exercice. Virgile lui dédie cette églogue.

Il avait dit, dans l’exorde de l’églogue précédente :

Prima Syracosio dignata est ludere versu
Nostra, nec erubuit silvas habitare Thalia.
Te nostræ, Vare, myricæ,
Te nemus omne canet.

Dans celle-ci, il invoque les Muses de Sicile, dont il n’avait point dédaigné d’imiter les chants agrestes ; et il a soin de nous rappeler les bois et les bruyères qu’il a promis de faire résonner du nom de Varus.

v. 1. Sicelides Muse, paulo majora canamus,
Non omnis arbusta juvant humilesque myricæ :
Si canimus silvas, silvæ sint Consule dignæ.

Ici, l’allusion à l’églogue de Silène est évidente.

v. 4. Ultima Cumæi venir jam carminis ætas. On a entendu de deux manières les mots Cumæi carminis. Quelques-uns ont pensé qu’il s’agissait ici non de la Sibylle de Cumes, mais d’Hésiode, dont le père était né à Cumes, et qui a parlé des quatre âges du monde dans son poëme des Travaux et des Jours. Mais Hésiode, en y déplorant les misères de l’âge de fer, sous lequel il avait le malheur de vivre, n’a nullement pronostiqué le renouvellement de l’âge d’or, ni même un temps plus heureux. C’est donc des livres de la Sibylle de Cumes qu’il s’agit dans ces vers. Ces livres secrets avaient-ils en effet annoncé ce que Virgile suppose dans cette églogue ? Il est fort permis d’en douter, avec le savant Fabricius, qui discute ce point dans sa dissertation sur les livres Sibyllins (Biblioth. Græca, lib. 1, cap. 30.)

v. 8. Tu modo nascenti puero, quo ferrea primum Desinet, ac toto surget gens aurea mundo, Casta, fave, Lucina : tuus jam regnat Apollo. Teque adeo decus hoc ævi, te Consule, inibit, Pollio ; ei incipient magni procedere menses. Les anciens commentateurs, d’après Servius, ont voulu voir dans Apollon, Octave, qui quelquefois dans sa jeunesse s’était paré des insignes de ce dieu, et dans Lucine, sa sœur Octavie, qu’ils regardaient probablement comme la mère de l’enfant. Nous devons rechercher maintenant quel était l’enfant merveilleux célébré dans cette églogue. Si l’on pèse les expressions de Virgile, l’enfant dont il parle a dû naître lorsque Pollion déjà désigné consul allait entrer en exercice,

Teque adeo decus hoc ævi, te Consule, inibit,

c’est-à-dire à la fin de 713, puisque Pollion reçut les faisceaux à l’ouverture de l’année 714. Ainsi l’enfant né à la fin de 713 aurait eu dix-huit ans révolus à la fin de l’année 731 : or c’est précisément l’âge que Servius donne à