Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/491

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des temps encore postérieurs, sur l’océan Atlantique, et vis-à-vis les îles Canaries, qui furent alors nommées les îles Fortunées. Les autres noms que rappelle ici Virgile sont dus à des peuples ou à des chefs de peuples qui ont successivement occupé quelques parties de l’Italie. On n’y trouve point celui d’Ausonie, souvent employé comme synonyme d’Italie, par M. Delille, surtout au commencement de ce livre ; mais, indépendamment d’autres exemples, le poëte français a pour lui l’autorité de Virgile, qui, dans un grand nombre de vers, se sert du mot Ausonia, pour désigner l’Italie. Au reste, les vers qui font l’objet de cette note se trouvent encore répétés liv. III, vers 163 à 166.

C. A. Walckenaer.

LIVRE II.

v. 781. Et terram Hesperiam venies, via Lydius arva Inter opima virum, leni fluit agmine Tibris. L’épithète de Lydius, Lydien, que Virgile donne au Tibre, est ici synonyme d’Étrurien ou Tyrrhénien. Cette épithète prouve que Virgile adoptait l’opinion de ceux qui croyaient les Étrusques originaires d’une colonie de Lydiens de l’Asie Mineure. Les récits d’Hérodote sont conformes à cette opinion ; mais Denys d’Halicarnasse la combat. Dans un ouvrage récent sur l’Égypte, M. Hamilton[1] rapporte une inscription en caractères étrusques, que deux voyageurs anglais ont, dit-on, récemment trouvée dans l’intérieur de l’Asie Mineure ; ce qui doit nous porter à croire au récit d’Hérodote, et nous ramener au sentiment de Virgile. Les Étrusques ont possédé primitivement tout le nord de l’Italie : le Tibre coulait dans leurs possessions. C’est par cette raison que Virgile, Horace, Ovide, Lucain, Stace, et d’autres poëtes latins, ont fréquemment donné au Tibre l’épithète de Tuscum, ou d’autres semblables[2].

C. A. Walckenaer.


LIVRE III.

v. 5. Classemque sub ipsa, Antandro et Phrygiæ molimur montibus Idæ. Antandros subsiste encore au fond du golfe d’Adramitti ; elle a conservé son nom. Cette ville est située, suivant nos meilleures cartes, à dix-sept milles géograpbiques au sud de Bounar-Bachy, où l’on a reconnu l’emplacement de l’ancienne Troie. Antandros est placée au pied du mont Gargara, le plus haut sommet de l’Ida, nommé aussi Alexandria, parce que ce fut sur cette montagne que, suivant la tradition, Pâris décerna le prix de la beauté à Vénus. Hérodote, vii, 42 ; Thucydide, viii, 108 ; Méla, i, 18 ; Pline, v, 30 ; Strabon, livre xiii, 903 et 904, donnent d’intéressants détails sur Antandros.

C. A. Walckenaer.

v. 18. Æneadasque meo nomen de nomine fingo. Cette ville conserve encore ce nom, et elle l’a communiqué au golfe à l’entrée duquel elle se trouve, qui s’appelle Enos, comme la ville. La rivière de Marizza, qui se jette dans ce golfe, est l’ancien Hèbre. M. de Choiseul, dans le second volume de son Voyage pittoresque de la Grèce, a donné des détails intéressants sur l’état actuel de cette ville.

C. A. Walckenaer.

v. 73. Sacra mari colitur medio gratissima tellus. Par cette longue périphrase poétique, Virgile désigne la célèbre Délos, nommée Idilis sur plusieurs de nos anciennes cartes. On doit être étonné de voir la fable attacher cette petite île à Cyaros, qui est l’île Joura des modernes : cette dernière est à plus de trente mille géographiques vers le nord-ouest ; d’ailleurs deux autres îles, Rhénée et Syra, se trouvent entre elle et Délos. Cependant on sait, par plusieurs passages des anciens, et surtout par un fragment en vers de Pétrone, que Virgile se conforme ici à la tradition commune. Thucydide dit que Polycrate avait attaché Délos à Rhénée, et ce récit est un peu moins absurde ; car Rhénée ou la grande Délos n’est qu’à une demi-lieue de distance de Délos ; à l’est et à peu de distance est Myconi : deux petits écueils nommés le grand et le petit Rématiari[3] sont à l’entrée de l’île de Délos, du côté de l’ouest et vis-à-vis de Rhénée. Le plus grand de ces écueils et le plus méridional est l’île d’Hécate ou Psammetiché. C’est de ce côté et au pied du mont Cynthus qu’étaient la ville et le temple d’Apollon, où affluaient les dons et les offrandes d’une multitude de peuples.

v. 115. Placemus venios, et Gnosia regna petamus. Nos meilleures cartes modernes nous font compter vingt-cinq milles géographiques de distance entre Délos et le lieu où nous plaçons Pergame ; par conséquent les vaisseaux des anciens, dans cette mer, faisaient quarante-deux milles géographiques, ou quatorze lieues marines, dans les vingt-quatre heures, lorsqu’ils étaient favorisés par le vent. M. Olivier, qui de Délos se dirigea sur Naxos, et de Naxos sur l’île de Crète, fut, comme Énée, favorisé par le vent du nord, qui, ajoute-t-il, souffle régulièrement en été sur l’Archipel[4]. Ainsi le surgens a puppi ventus euntis de Virgile s’accorde donc avec les vents dominants dans cette mer, et il n’y a pas un seul trait de ce tableau qui ne soit d’une justesse parfaite.

C. A. Walckenaer.

v. 170… Corythum, terrasque requirat Ausonias. Par terras Ausonias, Virgile entend l’Italie en général, et par Corythum, l’Étrurie ou la Toscane en particulier. Ce passage de Virgile, et un autre du livre x, mal interprété, ont fait supposer à Servius une ville et une montagne portant le nom de Corythe, qu’aucun ancien ne connaît, et qui paraissent n’avoir jamais existé. Par une figure hardie, Virgile met le nom du roi pour celui de la contrée qui lui était consacrée ; et, comme l’observe Cluvérius, Corythum est ici pour sedem Corythi, sepulcrum sive monumentum aut memoriam ejus ; de même Silius Italicus, en parlant du passage de l’armée de Flaminius dans la Toscane, dit, lib. iv, v. 718 :

Ergo agitur raptis præceps exercitus armis
Lydorum in populos, sedemque ab origine prisci
Sacratam Corythi.

De là les Étruriens furent appelés Corythes, ou peuples de Corythe ; et pour désigner l’Étrurie on a dit les champs de Corythe, arva Corythi. Voyez, à ce sujet, la savante description de Cluvérius, Italia antiqua, tome i, page 592 ; et Dempster, de Etruria regali, lib. ii, cap. 10, tom. i, page 131.

C. A. Walckenaer.

v. 209. Servatum ex undis Strophadum. Virgile, toujours exact jusque dans les plus petits détails, a soin de nous dire que les îles habitées par les harpies ont été surnommées Strophades par les Grecs, ce qui fait entendre qu’elles avaient un autre nom : Apollonius de Rhodes et Pline nous apprennent qu’en effet elles se nommaient Plotoe. Virgile dit encore insulæ in Ionio magno, pour indiquer leur situation ; et l’épithète de magnus convient à la mer Ionienne, comparativement à la mer Égée et à l’Adriatique qui l’avoisinent, et qui sont beaucoup plus resserrées. L’ignorance des premiers navigateurs, qui ne savaient pas retrouver les îles déjà découvertes, et qui leur faisait croire qu’elles avaient changé de place, avait, chez les anciens, semé les mers d’îles flottantes. Les Strophades sont les deux îles Strivali, à vingt milles au

  1. Hamilton’s Ægyptiana, p. 217.
  2. Voyez Cluverius, Ital. antiqua, p. 796.
  3. Comparez Olivier, Voyages, tom. II, pag. 156, in-8o, avec la carte 38 de l’atlas d’Anacharsis, quatrième édition.
  4. Olivier, Voyages, tom. II, pag. 179.